DOSSIER
L'agriculture au cœur des élections européennes

Le 9 juin prochain, les électeurs français seront appelés à élire les députés européens qui siégeront au Parlement à Strasbourg. Un scrutin de taille pour le monde agricole qui, après des mobilisations historiques en début d’année partout en Europe, font entendre leurs demandes vis-à-vis de la politique agricole commune et de la ruralité.

L'agriculture au cœur des élections européennes
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Christiane Lambert, présidente du Copa. ©Copa

À l’aube des élections européennes qui se tiendront entre le 6 et 9 juin selon les pays membres, Christiane Lambert, ancienne présidente de la FNSEA, nous a accordé une interview et revient sur son mandat à la présidence du Copa, le Comité des organisations professionnelles agricoles de l'Union européenne.

Christiane Lambert : « Je pense que les agriculteurs ont nourri de légitimes sentiments d’inquiétude quand ils ont vu débarquer, en mai 2020, les propositions de la Commission européenne sur le Green Deal et sa principale déclinaison agricole, Farm to Fork. Nous avons dû faire face à un véritable tsunami de propositions politiques pour certaines irréalistes, inapplicables et parfois contradictoires. La Commission voulait faire gravir 20 marches d’un coup à l’agriculture sur le plan environnemental. Ce qui était impossible, techniquement et financièrement. Nous avons alerté la Commission, en l’occurrence son vice-président d’alors, Frans Timmermans qui a fait la sourde oreille. Quatre ans après, force est de constater qu’aujourd’hui, la situation est différente. »

C’est-à-dire ?

C. L. : « Le Green Deal et Farm to Fork ont été pensés vers 2018, dans un environnement économique et politique encore favorable, mais avec une réelle arrière-pensée idéologique, sous la pression de certaines ONG et think-tanks bruxellois. Il n’a échappé à personne que le contexte a considérablement changé avec une succession et un empilement de crises très marquées : Covid, inflation, climat, guerre en Ukraine, tensions internationales en tous genres. Recroquevillée dans son microcosme, la Commission a poursuivi, de façon parfois doctrinaire, mécanique et descendante, l’application de ces textes en refusant même l’idée d’une étude d’impact. C’est sous la pression des agriculteurs et du Copa que nous avons fait comprendre aux institutions bruxelloises qu’il n’était pas possible de conduire un projet coûte que coûte quand l’actualité et le réel viennent bousculer vos premiers plans. »

Les manifestations agricoles qui ont eu lieu ces derniers mois dans la quasi-totalité des pays européens ont-elles été décisives ?

C. L. : « Indéniablement. La prise de conscience que l’agriculture est devenue un secteur à la fois éminemment stratégique et fragile s’est fortement renforcée. L’agenda agricole européen contraste ainsi fortement avec l’approche d’un Vladimir Poutine se servant ouvertement de l’arme agricole dans sa géopolitique et comme but de guerre. Un autre signe ne trompe pas, les simplifications pour plus de réalisme dans les conditionnalités Pac demandées par les agriculteurs européens ont avancé à un rythme inédit à Bruxelles. Les agriculteurs attendaient ce pragmatisme. Je souligne aussi le travail des députés européens qui, peut-être plus rapidement que le Conseil, ont permis d’atténuer les réglementations exigeantes de la Commission.

Au sein du Copa, le consensus est-il facile à établir ?

C. L. : « À vrai dire, non car chaque pays se focalise sur un ou plusieurs dossiers prioritaires. Exposés aux intempéries, en particulier la sécheresse, l’Espagne et l’Italie se sont enflammées autour de la mise en oeuvre de la Politique agricole commune. L’Allemagne s’est concentrée sur le gasoil non routier et les écorégimes. À ce jour, seuls 60 % des agriculteurs allemands l’ont obtenu. À titre de comparaison, 95 % des agriculteurs français y émargent. En Pologne, Roumanie, Hongrie, Bulgarie, où la situation est très critique, ce sont les exportations ukrainiennes de céréales, de sucre et de poulets qui focalisent l’attention et alimentent les protestations… Nous sommes parvenus à un consensus sur la grande majorité des sujets. C’est d’ailleurs ce qui fait la force du Copa, trouver le point de gravité agricole européen, même s’il subsiste quelques points de divergence. D’une manière générale, à l’heure du premier bilan, le Copa n’a pas à rougir de son action. Loin de là. Je pense qu’à Bruxelles, nous avons fait changer le logiciel. »

Quelles sont vos attentes pour les prochaines élections européennes ?

C. L. : « Que les agriculteurs s’expriment dans les urnes ! La prochaine Commission européenne devra revoir la colonne vertébrale du Green Deal et aborder les transitions différemment. Le dialogue stratégique pour l’avenir de l’agriculture qui a été mis en place par la présidente Ursula von der Leyen doit concrétiser le changement de logiciel. Le Copa représente les agriculteurs des 27 États membres et nous comptons bien faire entendre leurs voix. Car ce sont eux qui finalement déclinent et appliquent les politiques publiques agricoles. Leur voix est indispensable. Le président du Conseil européen, Charles Michel, a annoncé le 9 avril que les 27 États membres allaient placer dans l'agenda stratégique de l'UE, la sécurité et la souveraineté alimentaire au coeur de la politique agricole du bloc pour les cinq prochaines années. C’est une bonne nouvelle. Cependant la future Commission dépendra en partie des résultats du 9 juin et des nouveaux équilibres politiques au sein du Parlement européen. À l’image de nombreux hémicycles nationaux, nous nous attendons à un Parlement plus fragmenté, avec des majorités changeantes laissant toujours plus de places à la polarisation des débats. Plus que jamais, nous avons donc besoin de députés de dossiers et pas de députés de plateaux télé. »

Propos recueillis par Christophe Soulard

Les demandes de la FNB aux futurs députés européens
Patrick Bénézit, président de la Fédération nationale bovine (FNB). ©SC
REVENDICATIONS

Les demandes de la FNB aux futurs députés européens

La Fédération nationale bovine (FNB) a présenté le 23 avril, sa plateforme pour les élections européennes. L’association spécialisée de la FNSEA souhaite que les autorités européennes préservent et valorisent l’élevage français et européen plutôt que de l’attaquer.

« Garantir la cohérence des politiques européennes pour préserver et installer des élevages bovins viande durables, sur des territoires vivants. » Tel est l’intitulé du document que la FNB va remettre à l’ensemble des listes pour l’élection européenne du 9 juin. Les futurs députés européens devront notamment répondre à la question : « Quel est le projet de l’Union européenne pour son élevage bovin allaitant ? » Les éleveurs s’inquiètent d’une conjoncture assez défavorable pour leur profession. « On a senti une volonté de réduire l’élevage », affirme Patrick Bénézit, président de la FNB, qui a listé les nombreuses mesures prises en ce sens, soit directement soit indirectement, par la Commission européenne : bien-être animal, directive émissions industrielles (IED), loi sur la restauration de la nature, etc. À cela, il faut ajouter les accords de libre-échange passé par l’Union européenne (Australie, Chili, Nouvelle-Zélande…) qui augmentent les contingents d’importation de viande bovine, avec des normes différentes de celles du Vieux Continent.

Prix rémunérateurs

Pour infléchir et inverser cette tendance, la FNB a présenté quatre grandes propositions. Tout d’abord « refuser de produire moins », explique Patrick Bénézit. Il souhaite ici l’application des clauses miroirs réclamées depuis très longtemps par la profession. « Il est désormais acquis qu’il n’existe aucun obstacle juridique à leur application », justifie-t-il. Sur ce point, la FNB entend stopper l’ouverture de nouveaux quotas d’importations de viande bovine, en particulier celles des feedlots et celles issues de la déforestation. « Tant qu’il n’y aura pas de clauses miroirs dans les accords, on ne souhaite pas de nouveau quota d’importation », martèle-t-il. Chaque année ce sont plus de 300 000 tonnes de viande étrangères qui sont importées. Deuxième proposition : « Agir pour des prix rémunérateurs », en couvrant les coûts de production car, sans eux, « il n’y a pas de renouvellement des générations possible », indique Cédric Mandin, secrétaire général de FNB qui s’inquiéte de la baisse du cheptel
allaitant : « encore 100 000 vaches de moins en 2023 ».

Autonomie fourragère et protéique

La Pac retient aussi l’attention de la FNB dans sa troisième proposition. « Il faut renforcer les aides directes vers l’élevage bovin pour agir en faveur de la souveraineté alimentaire de l’UE », insiste Cédric Mandin qui souhaite renforcer les aides couplées. Il entend que l’Europe reconnaisse et prenne en compte « tous les services rendus par l’élevage, toutes les aménités positives des prairies et qu’elle mette fin à la surenchère administrative qui nuit à la durabilité des élevages ». À ce titre, l’association spécialisée de la FNSEA souhaite renforcer l’autonomie fourragère et protéique des élevages pour les rendre moins dépendants des achats d’intrants. Concernant la quatrième et dernière proposition, elle a trait à la transition écologique et notamment à l’état sanitaire des troupeaux. « Nous avons déjà les règles les plus élevées au monde et on veut encore les durcir », indique Patrick Bénézit. Il demande au contraire d’assouplir quelques législations actuelles et permettre la circulation des bovins, malgré la progression de la fièvre catarrhale ovine (FCO) et la maladie hémorragique épizootique (MHE). « Nous avons des protocoles basés sur les vaccins et des tests qui fonctionnent bien avec l’Espagne et l’Italie notamment », justifie le président des éleveurs bovins. Le document sera envoyé à chaque tête de liste et les représentants de la FNB espèrent rencontrer quelques responsables politiques pour bien faire passer le message. Ils sont toutefois conscients que tout le monde ne répondra pas « présent ». Ains, il n’est « pas certain que le parti animaliste nous reçoive », glisse, sourire en coin, Cédric Mandin.

Christophe Soulard

La FNB demande de garantir la cohérence des politiques européennes pour préserver et installer des élevages bovins viande durables, sur des territoires vivants. © iStock-maselkoo99
Un manifeste pour Jeunes agriculteurs
Arnaud Gaillot, président de Jeunes agriculteurs (JA). ©Cese
JA

Un manifeste pour Jeunes agriculteurs

En vue des élections européennes 2024, Jeunes agriculteurs (JA) a présenté un manifeste qui appelle, notamment, à réformer la Pac en faveur du renouvellement des générations.

« Plus et mieux. » Voilà ce que Jeunes agriculteurs (JA) attend de l’Union européenne (UE), a déclaré le président Arnaud Gaillot, en présentant le manifeste en vue des élections européennes du 9 juin. Des propositions sont faites pour réformer la Pac, notamment en consacrant 10 % du budget des aides directes au renouvellement des générations. C’est 4 % aujourd’hui. Une part jugée insuffisante, vu le défi démographique sur le Vieux Continent : en 2020, près d’un tiers des chefs d’exploitation européens avaient 65 ans ou plus (en France, 27 % avaient 61 ans ou plus). Le syndicat demande un « renforcement de la définition de l’agriculteur actif, pour en exclure les personnes ayant l’âge de la retraite à taux plein ». Il appelle à structurer et orienter les filières vers davantage de création et de partage de valeur, avec des aides ciblées et une majoration pour les jeunes agriculteurs. La Pac doit aussi permettre de renforcer les outils de gestion des risques, d’adapter les exploitations au changement climatique, d’après JA. « L’assurance climatique a été renforcée au niveau français, mais elle peut encore être améliorée », estime Arnaud Gaillot.

Un commerce international plus juste

Le manifeste comprend un volet sur l’harmonisation des normes en Europe (salaire minimum, charges salariales et patronales, conditions de production identiques). En France, le modèle n’est « pas le même » qu’ailleurs dans l’Union européenne « ça crée des distorsions de concurrence », souligne Arnaud Gaillot. D’autres propositions visent à rendre le commerce international « plus juste ». Il s’agit de promouvoir une approche multilatérale des échanges commerciaux et dénoncer les accords bilatéraux tels qu’ils sont construits aujourd’hui. Jeunes agriculteurs souhaite voir appliquer des clauses miroirs pour obtenir des produits importés le respect des standards de production européens, renforcer les contrôles aux frontières. Le syndicat appelle enfin à « donner du sens à la citoyenneté européenne et à l’alimentation ». Cela signifie plus de transparence sur l’origine des produits et des ingrédients via une révision de la réglementation sur l’étiquetage. L’idée est aussi de favoriser l’accès aux financements européens pour les territoires ruraux et mieux gérer leur traitement. Concernant les jeunes, le manifeste propose de favoriser l’accès au programme d’échange d’étudiants et d’enseignants Erasmus et généraliser les apprentissages en Erasmus +. Il propose enfin d’encourager un enseignement qui donne une meilleure connaissance de l’environnement institutionnel en France et dans l’Union européenne.

J-C. D.

HISTOIRE / Les évolutions de la Pac

Même si l’agriculture ne représente qu’1,4 % du PIB européen, la politique agricole commune (Pac) est l’une des principales politiques de l’Union européenne et a toujours été son premier poste de dépense.

Création en 1962

En 1962, les pays européens créent la Pac, prévue dans le Traité de Rome. Les principaux objectifs sont la garantie de l’indépendance alimentaire, l’augmentation de la productivité, la stabilisation des marchés et l’assurance d’un niveau de vie équitable des agriculteurs. Deux instruments fondamentaux sont mis en place : les prix garantis et les restitutions aux exportations. En 1968, les droits de douane intracommunautaires sont supprimés. Un marché unique pour les produits laitiers, la viande bovine et le sucre voit alors le jour.

1970-1980 : la Pac victime de son succès

La Pac remplit ses objectifs de productivité au point de devenir victime de son succès. La production dépasse rapidement la consommation, en particulier dans le secteur laitier.

1980-1990 : des prix garantis aux aides directes

En 1984, le Conseil européen instaure le principe de la discipline budgétaire. Les quotas laitiers sont mis en place et les oléagineux et les céréales sont soumis à des quantités maximales garanties, au-delà desquelles le soutien est réduit. Des mesures structurelles sont également instaurées : incitation financière au gel volontaire des terres, cessation d’activité des agriculteurs âgés, primes à la diversification…

1990-2020 : de réformes en réformes

Conduite par le commissaire irlandais Mac Sharry, la réforme de 1992 marque un tournant dans la Pac, en réduisant de manière importante les prix planchers en échange d’une aide financière directe pour les agriculteurs. La réforme introduit également des mesures incitant à utiliser des méthodes plus respectueuses de l’environnement. L’Agenda 2000 poursuit la réduction des prix d’intervention et introduit l’objectif de développement rural qui constitue aujourd’hui le second pilier de la Pac. En 2003, la Pac fait l’objet d’une nouvelle réforme avec le découplage des aides aux producteurs. Le bilan de santé de 2008 poursuit la logique, en compensant la nouvelle baisse des prix garantis par des aides directes découplées et en renforçant les mesures environnementales et territoriales.

2021-2027 : la Pac actuelle

En 2023, une nouvelle réforme instaure les ‘’écorégimes”, des primes versées aux exploitants suivant des programmes environnementaux. Autre nouveauté : les plans stratégiques nationaux. Chaque État membre élabore un document dans lequel il définit pour cinq ans ses besoins prioritaires et la manière dont il répond aux objectifs de la Pac. L’exécutif européen veille notamment à la conformité avec les objectifs du Pacte vert pour l’Europe. Celui-ci prévoit une diminution des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 1990.

C. D. (source UE)