ARTISANAT
Sophie Beaujard, illustratrice et graveuse de timbres
Illustratrice de métier, Sophie Beaujard s’est prise de passion pour la conception de timbres-poste gravés en taille-douce. C’est dans la Drôme qu’elle exerce le métier rare de graveuse de timbres, une profession qui demande patience et précision.
Dans son atelier situé au coeur de Bourg-de-Péage, Sophie Beaujard laisse exprimer toute sa créativité. Arrivée en 2000 dans la Drôme, cette Parisienne de 58 ans a toujours eu l’amour du dessin. « Mon père, Yves Beaujard, était diplômé de l’école Estienne, l’école supérieure des arts et industries graphiques. Depuis toute petite, je suis animée par sa passion pour l’art. J’ai d’ailleurs toujours aimé dessiner », explique-t-elle. C’est donc tout naturellement qu’elle s’est dirigée vers les mêmes études que son père. « À ma sortie de l’école, j’ai d’abord été graphiste en agence de publicité. Mais ce domaine ne m’attirait pas vraiment. Je me suis rapidement mise à mon compte, en free-lance, pour faire ce que j’aimais, de l’illustration. » Dès le début des années 1990, Sophie Beaujard a alors travaillé pour des maisons d’éditions, en illustrant des livres scolaires ou parascolaires pour les enfants.
« Un jour, mon père, qui avait été diplômé en gravure en taille-douce et qui travaillait comme graveur de timbres pour La Poste, m’a suggéré de travailler sur ce type de rendu. C’était une technique complètement différente de l’illustration simple, puisque c’est un travail en noir et blanc et qu’il faut être capable de nuancer les ombres et lumières. Il m’a alors formée en m’apprenant à faire des dessins adaptés au format des timbres gravés. » C’est ainsi qu’a commencé, en 2009, la collaboration de Sophie Beaujard avec La Poste : elle au dessin, son père (ou un autre artiste) à la gravure. « Nous avons réalisé plusieurs timbres ensemble, se réjouit-elle. Jusqu’à ce que mon père se mette en tête que j’allais graver aussi ! »
Un savoir-faire transmis par son père
Ce métier rare – il n’existe qu’une quinzaine de graveur(e)s de timbres en taille-douce en France – demande concentration, précision et patience pour faire émerger, à travers des dizaines et centaines de petits points, un visage expressif, un paysage, etc. « Mon père, connu dans le milieu philatéliste pour avoir réalisé ‘‘La Marianne et l’Europe’’ en 2008, m’a initiée aux spécificités de la gravure en taille-douce. La technique consiste à faire des creux dans de l’acier, à la main exclusivement, à l’aide de petits burins très fins, sous une loupe binoculaire pouvant grossir les détails jusqu’à vingt fois. On vient alors piquer le métal par petits mouvements, pour enlever la matière. Cela nécessite des centaines d’heures de travail. Il faut comprendre qu’un timbre gravé en taille-douce provient toujours d’une matrice originale faite à la main à l’envers, en miroir, par un graveur dans un petit bloc d’acier. Après le choix des couleurs (limité à trois, sauf en cas de superposition de plaque gravée), un scanner 3D permet de numériser au micron près tous les sillons de la gravure, afin de pouvoir ensuite imprimer des millions d’exemplaires », explique Sophie Beaujard. Le choix des thèmes se fait bien en amont, par une commission de La Poste.
Un timbre prestigieux
« Plusieurs dizaines de propositions de sujets parviennent chaque année à La Poste, par le biais de municipalités, d’associations philatéliques, etc. Tout le monde est en mesure d’envoyer sa demande, en revanche, la commission des programmes philatéliques choisit les thèmes les plus judicieux. Souvent, c’est l’occasion de célébrer un anniversaire, de commémorer des évènements, de mettre en avant un lieu ou une personnalité publique, etc. De notre côté, en tant que graveur, on ne fait que répondre à une commande… même si j’avoue que je préfère faire du portrait car j’aime retrouver l’expression sur les visages. Pour moi, les lignes droites architecturales, c’est un peu ennuyeux à réaliser (rires) », confie Sophie Beaujard. À noter également que les timbres gravés en taille-douce sont bien souvent privilégiés pour donner une dimension prestigieuse et solennelle aux sujets.
Plusieurs distinctions à son actif
Son premier timbre gravé est sorti en 2017, avec le portrait de Germaine Ribière, figure majeure de la Résistance chrétienne. Depuis, elle a créé une centaine de timbres pour La Poste, et reçu de nombreuses distinctions : finaliste du concours du timbre de la Marianne en 2013, prix du collector de timbres « Les 130 ans de la Tour Eiffel » et le grand prix d’art philatélique en 2019, trophée du jury spécial taille-douce en 2021 pour le bloc « Napoléon Ier – 1769-1821 », trophée du plus beau timbre des postes partenaires 2021 pour le timbre « Réunion consultative du traité de l’Antarctique des Taaf », trophée du plus beau timbre en 2023 en hommage à Arnaud Beltrame, etc. « C’est une belle reconnaissance pour le savoir-faire transmis par mon père. Je travaille aujourd’hui pour La Poste française, Monaco, Saint-Pierre-et-Miquelon, les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), etc. », poursuit-elle. Parmi ses derniers projets en date, la création d’un timbre pour le centenaire de la disparition du Facteur Cheval (Hauterives) et d’un timbre consacré au Palais Brongniart, siège de la Bourse française pendant près de deux siècles, et monument incontournable du patrimoine parisien.
Un métier en voie de disparition
Si ce domaine l’anime au quotidien, Sophie Beaujard reste prudente. « Bien que ce soit un métier artistique et artisanal très apprécié par les philatélistes, il est aujourd’hui en voie de disparition car de nombreux services postaux dans le monde ont cessé d’imprimer des timbres gravés. La Poste française est la dernière à faire perpétuer ce savoir-faire, reconnu depuis octobre 2023 au Patrimoine culturel immatériel », explique celle qui fait partie de l’association L’art du timbre gravé. L’association incite d’ailleurs La Poste à poursuivre cette technique datant de la fin des années 1920. « On ne connaît malheureusement pas l’avenir », s’inquiète-t-elle.
C’est pourquoi l’artiste ne consacre pas son activité professionnelle uniquement à la gravure. Elle poursuit ses collaborations avec des groupes d’édition pour des manuels scolaires, des méthodes de musique, des dessins documentaires (etc.), avec des techniques diverses et variées : à la plume, au crayon, au stylo à pointe tubulaire… À terme, elle aimerait également se mettre à la peinture à l’encaustique, fabriquée à partir de cire d’abeilles. « C’est un projet personnel mais j’aimerais beaucoup peindre les oiseaux. Je les trouve fascinants, en termes de formes, de couleurs. Ce sont des oeuvres d’art à eux seuls. Il faut juste trouver le temps ! » conclut Sophie Beaujard.
Amandine Priolet
L’agriculture française mise à l’honneur
Le monde agricole a été mis sur le devant de la scène ou plutôt des enveloppes avec la sortie d’une gamme de timbres-poste aux couleurs de l’agriculture, rendant plus particulièrement hommage à l’ordre du Mérite agricole. En effet, le 15 mars 2021, La Poste a commercialisé un timbre tiré à 720 000 exemplaires, conçu par Sandrine Chimbaud et illustrant la complémentarité des territoires (plaine, forêt, montagne) et la diversité des productions agricoles réparties sur le sol français. « Les personnages et l’assiette témoignent du travail intergénérationnel permettant la transmission des savoirs agricoles, agroalimentaires et gastronomiques au service de l’alimentation », peut-on lire sur le site internet www.timbres-de-France.com. Pour rappel, l’ordre du Mérite agricole a été institué le 7 juillet 1883 par le ministre de l’Agriculture de l’époque, Jules Méline. Il permet ainsi de récompenser les femmes et les hommes ayant rendu des services marquants à l’agriculture. Pour recevoir cette distinction, il faut justifier de dix ans de services réels rendus à l’agriculture.