SYNDICATS
Gestion de l’eau : les agriculteurs veulent être davantage acteurs

Marine Martin
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Un temps d’échanges autour de la politique de l’eau en Ardèche et sa gestion a été organisé par la FDSEA et Jeunes agriculteurs (JA) Ardèche, jeudi 26 septembre, au sein de la future exploitation caprine de Joseph Berdiel.

Gestion de l’eau : les agriculteurs veulent être davantage acteurs
Christel Cesana et Philippe Jougla, entourés par de nombreux agriculteurs des syndicats majoritaires FDSEA et JA. ©AAA_MM

Au menu, gestion de l’eau individuelle avec les retenues collinaires et gestion collective (ASA), questionnements autour de la réglementation des zones rouges et zones humides. Ces sujets ont été abordés par les agriculteurs en compagnie de Philippe Jougla, administrateur en charge du dossier de l’eau à la FNSEA et président de la FRSEA Occitanie. Il était accompagné de Loïc Scalabrino, secrétaire général adjoint de Jeunes agriculteurs (JA) au niveau national, et de Jocelyn Dubost, président de JA Aura. Si Joseph Bourdiel et son associé récupèrent l’exploitation de jean Luc Virmaux et son élevage caprin au 1er janvier 2024, l’agriculteur est avant tout cultivateur de grandes cultures (maïs, semences, céréales de consommation, sorgho), qu’il irrigue avec l’eau du Rhône pour 50 % de ses surfaces. Il aimerait une extension du réseau pour couvrir l’ensemble de la commune, car il y a un peu plus loin, des terres céréalières qui ne sont pas exploitées. Si l’eau du Rhône constitue une ressource abondante, les agriculteurs qui n’en bénéficient pas doivent compter sur d’autres moyens d’irrigation pour leurs cultures, et c’est souvent une véritable gageure de parvenir à des solutions efficaces. « L’eau est un des grands enjeux de demain, pour garantir la souveraineté alimentaire. Il est donc primordial d’agrandir le réseau, donner l’accès à l’eau à tous, tout en partageant et en économisant la ressource, bien qu’en Ardèche, nous connaissons la sobriété de son usage depuis longtemps. L’eau est une assurance-vie pour bien des cultures », introduit la réunion, Christel Cesana, présidente de la FDSEA de l’Ardèche.

« 5 milliards de m3 d’eau tombent chaque année, seulement 0,12 % est stocké »

Avant de rentrer dans le vif du sujet, Benoit Claret, président de la chambre d’agriculture contextualise la situation : « Le département couvre 550 000 hectares, dont 100 000 ha de terres agricoles, souvent fragmentées, ce qui complique la gestion de l’eau. De plus, la gestion collective par les ASA, est souvent investie par des propriétaires privés. Bien que 5 milliards de m3 d’eau tombent chaque année, seulement 0,12 % est stocké. En raison de la topographie complexe, il est difficile d’aménager les parcelles, ce qui explique la prévalence de réseaux d’irrigation individuels (lacs collinaires, forages N.D.L.R), le territoire n’ayant pas la capacité pour un développement collectif ». Parmi les 3 000 agriculteurs professionnels, 1 500 sont irrigants, souvent sur de petites surfaces (entre 8 000 et 10 000 ha) et utilisent des volumes d’eau allant de 500 à 2 000 m3. « L’utilisation de l’eau, est toujours contrainte par les volumes disponibles. L’enjeu est de trouver de la disponibilité et sécuriser l’eau disponible en période hivernale », rappelle le président de la chambre d’agriculture. Selon le rapport du GIEC, il y a toujours la même quantité de précipitations, mais sa répartition devient plus variable, avec des périodes de sécheresse plus marquées.

Philippe Jougla tente alors une allégorie forte : « Une seule journée de pluie suffirait à couvrir les besoins en irrigation agricole ». Cette image fait mouche dans l’assemblée. Les agriculteurs passent alors en revue les moyens d’irrigations à leur disposition et les difficultés réglementaires auxquelles ils font face : barrage dont « il faudrait travailler l’utilité pour l’irrigation », ou encore, les surfaces en zone rouge ou en zone humide.

Problématique des zones rouges et des zones humides

De nombreuses zones rouges sont répertoriées dans la vallée du Doux, au nord de la vallée de l’Eyrieux, ou encore en Sud Ardèche. Ces zones compliquent le financement des retenues collinaires. « Le financement des retenues collinaires est lié aux méthodes de remplissage. Actuellement, il n’existe pas de financement pour la création de retenues si l’eau provient d’un cours d’eau. Nous demandons donc aux services de l’État de permettre le remplissage des retenues collinaires à partir de cours d’eau pendant la période hivernale », explique Sylvain Bertrand, vice-président de la chambre d’agriculture et spécialiste des questions d’irrigation.

Pour les agriculteurs qui ont un projet d’irrigation sur des surfaces en zone humide, le casse-tête peut vite décourager les porteurs de projets, car la zone humide, considérée d’intérêt majeur, demandait jusqu’à il y a peu une procédure de compensation « supérieure à un », explique Philippe Jougla. Cette réglementation sur zone humide, fait partie des revendications portées par la FNSEA et JA en début d’année. Après quelques allers-retours avec les services de l’État, « On peut désormais faire des retenues sur zone humide si on n’est pas soumis à déclaration IOTA1, sans compensation. Et on peut drainer une zone humide en déclaration entre 10 arrhes et un 1 ha », détaille le représentant national. « C’est plus vertueux pour l’environnement de mettre un lac dessus qu’un parking ! », s’exclame alors un agriculteur.

La FDSEA et JA mènent une autre lutte, pour simplifier les projets d’irrigation sur zone humide : « Depuis 2016, les zones humides sont définies par la présence, soit d’un sol hydromorphe, soit d’une flore spécifique aux zones humides. Avant 2017, les deux critères étaient requis, mais la loi biodiversité a changé cela en n’exigeant plus qu’un seul des deux. La FNSEA milite pour un retour à l’exigence des deux critères dans le cadre du PLOA2, afin d’éviter qu’en 2027, de nombreuses zones ne soient classées comme zones humides avec un seul critère », indique Philippe Jougla.

Des données pour justifier de la nécessité du stockage de l’eau

Pour se structurer et démontrer les besoins en eau de l’agriculture, ainsi que l’importance de son stockage, il est essentiel de s’appuyer sur des données chiffrées et fiables. C’est pourquoi Jocelyn Dubost indique : « Nous sommes en phase d’expérimentation et travaillons à l’élaboration d’un guide sur la création de retenues, destiné aux services de l’État ». Face « à des interlocuteurs, au sommet de l’État qui sont conscients de la nécessité de l’eau pour l’agriculture », selon Philippe Jougla, Sylvain Bertrand exhorte les agriculteurs à agir : « Si vous avez un projet d’irrigation, c’est le moment, car le contexte départemental est favorable et des financements sont disponibles par le biais du conseil régional (Fonds Feader, couvrant 50 % des coûts N.D.L.R). » À bon entendeur.

M.M.

1. IOTA : Installations, Ouvrages, Travaux et Activités, relative à la loi sur l’eau.

2. Projet de Loi d’Orientation Agricole.

Benoit Claret, président de la chambre d'agriculture de l'Ardèche. ©AAA_MM