ARBORICULTURE
Des abricots aux cerises : Une campagne difficile

Marine Martin
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Les conditions climatiques de ces derniers mois n’ont laissé que peu de répits aux arboriculteurs. Alors que la récolte s’achève pour certains et bat son plein pour d’autres, la campagne d’abricots et cerises 2024 est dans l’ensemble très mitigé.

Des abricots aux cerises :  Une campagne difficile
Chez Benoit Nodin, « on a réussi à jongler entre les épisodes pluvieux ». En récoltant les cerises moins mûres, l'arboriculteur déclare « s'en être pas si mal sorti ». ©Benoit_Nodin

« Pour les abricots, c’était une année faible en termes de volume, avec peu de valorisation par rapport à une année classique. La campagne a été très calme. Si nous avions eu un volume habituel, je ne sais pas comment nous aurions fait pour les écouler », déplore Émilien Nègre, dirigeant de Taga Fruit à Baix, installé en arboriculture avec Joséphine Martin (Earl Les Vergers de Mon Papé) sur la commune de Baix.
La cause ? Des conditions climatiques qualifiées de « catastrophiques », du « jamais-vu », pour certains arboriculteurs qui déplorent des précipitations extrêmes. « Les week-ends, le mauvais temps n’incite pas à la consommation de fruits de saison. Il n’y a pas d’engouement. Une morosité climatique, que je mets en corrélation avec le climat politique ambiant », ajoute Émilien Nègre.

Stéphane Leyronas, producteur de pêches sur 7 hectares à Saint-Étienne-de-Fontbellon, partage cet avis : « La météo joue sur l’envie des consommateurs, il n’y a pas de ventes. C’est une catastrophe, je n’ai jamais vu une année, aussi pourrie que celle-ci. »
Des pluies dévastatrices que le producteur de pêches, déplore, constatant un manque de volume de la production : « Tout tombe par terre. Les traitements s’en vont directement avec la pluie. » Résultat ? La drosophile s’en donne à cœur joie, car les quarante variétés de pêches mûrissent très vite. « Il est encore tombé entre 15 et 20 millimètres de pluie, hier », se désespère l’arboriculteur.
« L’excès d’eau est pire que le manque d’eau », souligne Florian Minodier, producteur de cerises (8,5 ha) en production et d’abricots (10 ha) sur le secteur d’Empurany. « C’est historique, on n’a pas encore tourné une vanne au 20 juin, alors qu’habituellement, au mois d’avril, les vergers sont déjà irrigués. »

Une campagne d’abricots difficile dès le printemps, éprouvée par les pluies

Olivier Fraisse, producteur d’abricots à Saint-Jean-de-Muzols, confirme : « La campagne actuelle est vite résumée. Vu le printemps que nous avons eu avec la difficulté de nouaison, nous avons eu une toute petite récolte de deux tonnes par hectare sur la plupart des variétés. » Une seule variété a échappé au désastre dans ses vergers, la variété d’abricots Lady Cot avec des arbres bien chargés. Tandis que pour les variétés de la génétique Bergeron, peu d’abricots peuplent les étals… « Sur cinq hectares d’abricots, nous allons finir la saison avec dix tonnes commercialisées. »
Dans le secteur d’Empurany, la saison a débuté fin juin avec la variété Sephora, mais les arbres sont peu chargés en raison des fleurs coulées au printemps et des épisodes de grêle. Mais Florian Minodier n’exclut pas un tri si le marché est porteur. Car, les abricots grêlés, il faut quand même les ramasser pour nettoyer la parcelle et ne pas gaspiller les fruits, c’est du temps de travail en plus non rémunéré. »

De la même façon, l’excès d’eau impacte la récolte de cerises.

Cerises : « La pluie a fait des dégâts, surtout sur les variétés tardives. »

La production de cerises est en cours dans le nord de l’Ardèche et déjà terminée dans le Sud.

Dans la vallée du Rhône, la récolte de cerises s’est clôturée à la mi-juin : « Le début de campagne annonçait un volume plus conséquent, mais la pluie a tout arrêté. » Chez Benoît Nodin, producteur de fruits à Saint-Péray et secrétaire général de la FDSEA Ardèche, « La pluie a causé des fissures sur les variétés sensibles comme la Folfer. Mais malgré les difficultés, nous avons réussi à jongler entre les épisodes pluvieux pour cueillir les variétés plus précoces ». Résultat, un rendement de 5 t ha en moyenne. « On peut monter jusqu’à 10 t hectares dans une bonne année. Mais nous avons réussi à valoriser les cerises. »

Un contrôle permanent des prix et de l'origine

En début de saison, « le prix des cerises françaises était plutôt bas en raison de la sous-consommation due à la météo. Les prix de production étaient en dessous de 3 euros le kilo alors que sur les étals, ils étaient bien au-dessus », témoigne la présidente de la FDSEA, Christel Cesana. « Les prix ne sont pas soutenus, notamment si l’on souhaite investir et protéger les vergers. », martèle l'élue, également arboricultrice.

Concernant l’origine, la vigilance est constamment de mise. Aux prémices de la campagne de fruits, la FDSEA et les JA ont publié un communiqué de presse pointant du doigt les GMS qui ne jouent pas le jeu de l'origine française. Ce qui a contraint plusieurs GMS à « sortir les productions étrangères » de leurs magasins. « La pression syndicale a porté ses fruits », se félicite la présidente de la FDSEA.

« Une recrudescence d’attaques de drosophile » dans les vergers

 Tout comme ses pairs arboriculteurs, l'élue et productrice de cerises à Orgnac-l’Aven, n'a pu que constater :
« La pluie a fait des dégâts, surtout sur les variétés tardives. » Gorgées d’eau et fendu, les cerises les plus tardives ont servi de foyers aux drosophiles. « Nous avons dû laisser beaucoup de cerises sur les arbres, ce qui a entraîné une recrudescence d’attaques de drosophile sur les productions tardives, nous nous retrouvons, avec des pertes de production. »
Chez elle, la campagne est déjà clôturée : « C’est une année moyenne avec 30 à 40 % de pertes. La Burlat est l’une des seules variétés où il y avait une récolte cette année, mais en petits volumes. On espère qu’il y aura une reconnaissance au niveau de l’État pour cet excès d’eau. »
Car, qui dit fruits éclatés, dit tri à la récolte : « Il faut aussi une rentabilité de cueillette à l’heure » , note Aurélien Soubeyrand, producteur de cerises sur Désaignes et président de la Fédération Départementale des Producteurs de Fruits d’Ardèche.
Aurélien Soubeyrand, est à mi-parcours de sa récolte : « Cela fait bien longtemps que cela n’avait pas été aussi compliqué avec le manque d’ensoleillement. On espère un retour à la normale, rapidement ! », témoigne-t-il.
Florian Minodier, du secteur d’Empurany, à la mi-juin, cueille la variété Burlat. Il commence à voir l’arrivée des drosophiles dans son verger : « Si la pression continue, je ne sais pas comment nous allons faire. Nous avons quand même une belle récolte, grâce aux différentes variétés et à l’altitude, entre 400 et 800 mètres, ce qui échelonne la cueillette. Sur les Folfer et Burlat, nous avons 50 % de récolte, mais sur les autres variétés, moins sensibles à la pluie, nous avons eu moins de pertes. »
L’arboriculteur confie hésiter à installer des filets de protection malgré ses vergers en coteaux. « Un voisin l’a déjà fait, il a planté de haut en bas avec des filets sur rangs. Nous allons voir si cela fonctionne. Une parcelle devient productive en 5 à 7 ans, ce n’est pas immédiat, il y a notre gagne-pain en jeu. » Alors, l’arboriculteur rembobine :
« Il y a 10 ans, avec les variétés tardives, nous ne bataillions pas, le prix augmentait. Aujourd’hui, tout a changé. Il faudrait avoir des variétés précoces, car sur les tardives, il y a trop de problèmes sanitaires. Au temps de mon père, le premier orage arrivait au 14 juillet, tandis que maintenant, nous avons de la grêle au mois de mars. »
Le changement climatique à l’œuvre « intensifie le cycle de l’eau dans son ensemble, entraînant des sécheresses plus étendues et des pluies extrêmes, plus intenses », détaille Gabriel Chantrel, prévisionniste chez Météo France. Pour l’instant, l’heure des comptes n’a pas encore sonné pour la campagne de fruits d‘été ardéchoise, déterminant si les pluies extrêmes auront raison ou non des fruits d’été sur le territoire.

M.M

Abricots : « la saison est terminée, c’est acté »
©GuillaumeTerrasse
GRELE

Abricots : « la saison est terminée, c’est acté »

C’était un vendredi en début de soirée, fin juin. Les canons anti-grêle ont résonné dans le village paisible de Baix, annonçant un épisode violent imminent.

« Quand un risque est détecté, le canon anti-grêle se déclenche automatiquement. Depuis que nous l’avons, nous n’avions pas eu de grêle sur nos vergers », témoigne Émilien Nègre, dirigeant de Taga Fruits, installé en arboriculture avec Joséphine Martin (EARL Les Vergers de mon Papé) sur la commune de Baix. Pourtant, ce vendredi, bien que le canon se soit déclenché, la production a été touchée à 100 %. Pour les abricots répartis sur une dizaine d’hectares, « la saison est terminée, c’est acté », abrège Émilien Nègre.
« Après un printemps où la nouaison avait été difficile, la grêle a tout touché », constate-t-il. « Il y aura des débouchés pour la catégorie 2, mais à quel prix ? » S’interroge l’arboriculteur.
Ce qui inquiète le plus Émilien Nègre, ce sont les productions à venir : des kiwis sur dix hectares et des pommes sur un hectare et demi, également touchés par l’intensité de la grêle et la grosseur des grêlons. « Pour les pommes et les kiwis, c’est moins visible à cette période. Les kiwis vont continuer de grossir, mais les feuilles qui les protégeaient sont criblées. Il va falloir que les arbres s’en remettent, et si un autre épisode de grêle arrive par-dessus, alors les kiwis n’auront plus aucune protection. » Gabriel Chantrel, prévisionniste à Météo-France, explique comment ces violents orages se forment : « Les orages de grêle, appelés orage supercellulaire, sont les plus violents et produisent les plus gros grêlons. Ils se forment dans des conditions atmosphériques spécifiques, nécessitant un contexte orageux classique, une augmentation de la vitesse du vent avec l’altitude et un changement de direction du vent. »
Confronté au ressenti de la part de la population d’une augmentation des épisodes de grêle, le prévisionniste tempère : « Nous n’avons pas d’archives sur plusieurs décennies de cadence accélérée ou non de chutes de grêle, seulement des témoignages, parcellaires. Nous ne pouvons pas dire si le changement climatique intervient sur ces paramètres, mais nous espérons progresser dans les prochaines années sur les données d’orages et de grêle. »

Pluviométrie

Du côté de Météo France, Gabriel Chantrel indique que la pluviométrie de ce printemps a été exceptionnelle. « Majoritairement, du Haut Vivarais à l’est drômois, nous sommes en excédent pour le mois de juin de façon assez significative, allant de 50 à 70 % de pluie excédentaire. Le mois de mars a été exceptionnellement pluvieux en Ardèche, il est tombé jusqu’à six fois la normale, tandis qu’avril et mai ont enregistré un excédent entre 20 et 50 % sur l’Ardèche. Cependant, en juin, en basse Ardèche, le territoire reste en déficit pluviométrique. »

Quid du plan d'urgence cerise ?

Avec la drosophile de retour, depuis plusieurs mois, la FDSEA demande au gouvernement la reconduction du plan d’urgence cerises1, pour la reconnaissance des producteurs les plus touchés par les pertes de récoltes causées par la Drosophila Suzukii sans taux de spécificité. Cependant, les élus du syndicat, Christel Cesana, Benoit Nodin et Aurélien Soubeyrand, n’ont toujours pas reçu de nouvelles quant à l’avancée de la requête. En raison de la situation électorale actuelle et du ralentissement des dossiers et lois qui en découle, il est difficile d’en savoir davantage. Mais une fois la nouvelle assemblée de députés constitués « nous continuerons à mettre la pression », promet Christel Cesana.

1 Pour être indemnisé dans le cadre du plan d’urgence, il faut justifier d’une perte de chiffre d’affaires supérieure à 20 % de l’atelier concerné.

©SEFRA