AUVERGNE-RHÔNE-ALPES
Une région en quête d’autonomie alimentaire animale

Dans l’Allier, l’Ain et l’Isère, trois usines de trituration ont décidé de s’allier afin de produire des tourteaux locaux pour l’alimentation animale. Mais cet objectif de souveraineté alimentaire ne pourra se faire sans le développement des surfaces, notamment de soja et une solide contractualisation entre les coopératives, les producteurs de graines et les éleveurs.

Une région en quête d’autonomie alimentaire animale
Céréalier et éleveur de vaches laitières dans le Rhône, Jean-Claude Thomas (deuxième en partant de la gauche) affirme ne plus pouvoir se passer du soja expeller produit sur son exploitation, puis transformé par le groupe Oxyane.©Emmanuelle Perrussel lar

En Auvergne-Rhône-Alpes, le mois de juin 2024 n’aura pas été uniquement synonyme de météo capricieuse. Les mots « trituration » et « autonomie alimentaire » ont également rythmé de nombreuses discussions. La raison ? L’inauguration, à quelques jours d’écart, de l’usine de trituration du groupe Oxyane, située à la Côte-Saint-André (Isère) et de celle de Nutralp, implantée à Bâgé-Dommartin (Ain). Ces deux sites ont rejoint l’enjeu régional de relocalisation des protéines végétales pour l’alimentation animale et viennent ainsi compléter l’outil de trituration de l’Union des Coopératives Agricoles de l’Allier (Ucal), en fonctionnement depuis l’été 2022.

Développer davantage de surfaces

Pour ces trois usines, partenaires du projet régional Coopéara, l’enjeu est de taille : réduire significativement la dépendance des coopératives à l’importation de tourteaux provenant du Brésil et des États-Unis, tout en répondant à l’augmentation de l’autonomie alimentaire des élevages de la région. Un objectif ambitieux, qui nécessite néanmoins de laisser davantage de place au soja (15 000 ha supplémentaires) et au tournesol (4 000 ha supplémentaires), tout en maintenant la sole de colza. Pourtant, Nicolas Moiroud, représentant technico-commercial au sein du groupe Oxyane, le concède, « la disparition progressive des matières actives et les faibles rendements des parcelles de tournesol font que cette culture est peu à peu laissée de côté en France ». La coopérative a donc choisi d’écarter cette culture pour se concentrer sur la trituration du soja expeller, dont les graines sont jugées plus intéressantes pour
l’alimentation animale. « Nous savons quoi faire de l’huile, des déchets et du tourteau et c’est une culture facile à mener, bien que nous la connaissons encore peu », confirme le spécialiste, qui n’hésite pas à parler du soja comme d’une « protéine noble ». Avec son usine, la coopérative vise le traitement de 25 000 t de graines de soja sans OGM par an. L’outil a même été conçu pour doubler cette capacité. Mais dans une région où la production de soja s’est établie à 17 878 ha pour un rendement de 26q/ha1 en 2022, certains céréaliers doutent d’un tel développement. « Bien que nous espérions que cela crée une dynamique locale, l’augmentation des surfaces de soja ne semble pas aller assez vite », confie Florian Barge, céréalier et membre de la FDSEA de l’Ain, qui réclame également plus de contractualisation. Un sujet que Jean-Claude Thomas maîtrise parfaitement. Céréalier et éleveur de vaches laitières dans l’Est lyonnais (Rhône), cet agriculteur travaille depuis plusieurs années en tant qu’apporteur de graines de soja à la coopérative Oxyane. Cette dernière lui achète l’huile et lui restitue le tourteau. « Si je me base seulement sur l’aspect financier, je ne suis pas certain que ce soit la bonne technique, admet l’agriculteur, pourtant majoritairement autonome en protéines. Un financier pur et dur ne s’amusera pas à produire de la graine de soja alors que des restrictions d’irrigation peuvent survenir ; il préférera prendre son téléphone et commander 200 t de tourteaux OGM provenant du Brésil à
500 €/t2. » Se séparer du soja expeller lui paraît pourtant inconcevable : « Lorsque je l’ai essayé, je m’attendais à produire plus de lait… Finalement, cela n’a pas été le cas, mais mes vaches sont plus en forme. Mon vétérinaire, je l’adore, mais je ne le vois pas souvent ! »

« Quand les éleveurs goûtent au soja expeller, ils ne reviennent pas en arrière »

Largement convaincu, l’agriculteur regrette néanmoins la faible quantité de variétés disponibles sur le marché. « Quand les éleveurs y goûtent, ils ne reviennent pas en arrière, c’est un produit étonnant ; mais il faut que les obtenteurs trouvent un intérêt économique à le développer. Dès que le choix variétal sera important, les conseils afin de bien mener cette culture suivront. » Si Nicolas Moiroud préfère parler de « pari sur l’avenir », ce dernier l’avoue sans sourciller : « Je ne pense pas que d’ici deux ou trois ans, 100 % des tourteaux seront vendus à nos adhérents… Sauf si demain, une obligation française d’animaux non-nourris aux OGM est mise en place ». L’expert table plutôt sur un délai de dix ans. « Mais cela peut aller plus vite si les céréaliers plantent plus de soja sur notre territoire. » Une échelle de temps qui, lorsqu’elle est replacée dans le contexte du difficile renouvellement des générations agricole paraît bien moins optimiste.

Léa Rochon

1. Source Draaf Auvergne-Rhône-Alpes pour l’année 2022
2. Selon plusieurs coopératives, le prix du soja expeller sans OGM est d’environ 700 e/t.

Tournesol, colza ou soja : un choix stratégique

Durant ses deux premières années de fonctionnement, l’usine de trituration de l’Union des Coopératives Agricoles de l’Allier (Ucal) s’était intéressée aux graines de soja. Mais depuis 2023, la structure a décidé de ne se concentrer finalement que sur la trituration du colza et du tournesol. Leur motivation ? De trop faibles surfaces cultivées. « Le département de l’Allier produit peu de soja, si bien que la collecte était de moins de 2 000 t et entraînait trop de pertes lors des changements de production », explique le président Pierre Desgoutte. Dorénavant, la rotation des graines de colza et de tournesol sans OGM s’effectue tous les deux mois, tandis que le soja est trituré chez des partenaires. Ce qui n’empêche pas l’usine de tourner à plein régime et de s’assurer que 32 000 t de graines soient triturées chaque année. « L’an dernier, le producteur, comme l’utilisateur du tourteau, ont profité du résultat de l’usine et de la contractualisation, puisqu’ils ont reçu 20 €/t. Cette année, la redistribution du résultat ramenée au tonnage contractualisé sera de 25 €/t soja compris. Nous sommes attachés à l’équité entre les utilisateurs de tourteaux et les producteurs de graines. » Plus à l’est, dans l’Ain, l’usine de trituration Nutralp est encore flambant neuve. Fruit de la collaboration des coopératives Capdis, Bresse Mâconnais et Jura Mont-Blanc, cet outil promet de traiter un total de 15 000 t de graines sans OGM de colza (50 %), tournesol (25 %) et soja (25 %) par an. Bien que l’usine soit conçue pour doubler ce tonnage, Élodie Coulon, responsable commerciale à la coopérative Capdis, explique qu’à l’heure actuelle, les ventes de tourteaux produits localement sont prioritairement dédiées aux adhérents, puis aux négociants.