INNOVATION
Atypique, une entreprise qui lutte contre le gaspillage alimentaire

En France, 10 % du gaspillage alimentaire est issu des récoltes jetées par les producteurs, lorsque les fruits et légumes ne sont pas conformes aux standards. Afin de lutter contre ce problème, l’entreprise Atypique rachète et revend ces produits aux professionnels de la restauration.

Atypique, une entreprise qui lutte contre le gaspillage alimentaire
L’équipe d’Atypique Lyon. L’entreprise possède trois bases en France : Paris, Lyon et Marseille. ©Atypique

En 2023, dans le monde entier, 1,3 milliard de tonnes de nour­riture ont été gaspillées. Chaque année, ce sont 121 kg d’aliments que chaque personne jette. En France, 10 millions de tonnes de nourriture sont gaspillées par an. Plus de 10 % de ce gaspillage concerne la production de fruits et légumes. Les producteurs font face à des critères stricts sur l’as­pect de leurs produits de la part de la grande distribution. C’est pour agir contre cela que Simon Charmette et Thibaul Kilber ont créé l’entreprise Atypique. « Cela n’a pas été facile de convaincre du monde de nous suivre, mais le projet nous tenait à coeur », exprime Simon Charmette. Tous deux ont créé la start-up il y a trois ans, accompagnés par l’incubateur de l’Isara. Leur idée est d’agir sur les produits biscornus, trop petits, trop grands, tous ceux qui ne rentrent pas dans les normes de calibrage et que les producteurs n’arrivent pas à vendre. « Mes parents sont agricul­teurs, explique t-il, j’ai pu constater les difficultés qu’on avait à vendre les pro­duits qui sortaient de la norme. » Des difficultés engendrées par des régle­mentations, (règlement 2019/428) qui encadrent la rougeur d’une pomme ou encore le diamètre d’un kiwi. « C’est aberrant de jeter des très bons produits, juste pour des réglementations qui ne sont plus adaptées au mode de vie ac­tuel », déclare le fondateur. D’autres initiatives ont été mises en place par l’État comme l’obligation de donner les surplus à des organismes ou asso­ciations spécialisés. Alors, pourquoi Atypique n’est pas une association à but non-lucratif ? « Parce que ce n’est pas assez. Le but de notre entreprise est de fonder une économie viable, de mon­trer qu’on peut développer un marché », répond le cofondateur. L’intention est donc de prouver qu’il existe d’autres modes de consommation. Le point de départ, ce sont les producteurs, leur acheter les invendus pour des raisons de calibre ou de couleur et à l’arrivée, les revendre à des professionnels de la restauration ou de la transformation.

Une volonté de faire autrement

Pour les producteurs, premier mail­lon de cette chaîne, c’est une bonne option. Jusqu’à présent, trois possibi­lités s’offraient à eux : ne pas récolter leurs produits (en France, entre 30 et 50% des fruits et légumes ne sont pas ramassés), en faire don à des asso­ciations, ou les détruire. Mais aucune de ces solutions ne permettent de rentabiliser le temps et l’eau investis dans les cultures. L’entreprise Le Pied Vert, située à Caluire-et-Cuire (Rhô­ne), spécialisée dans la production de salades, de choux, d’épinards et d’en­dives, a commencé sa collaboration il y a deux ans. Karine Bergeron, associée au sein de l’entreprise, a alors contac­té Atypique, car il leur arrivait d’avoir trop d’endives. « Comme nous en avions beaucoup qui étaient trop petites, nous avons pris contact avec Atypique pour leur en vendre », explique Karine Ber­geron. Vendre des produits déclassés ou en surplus est bénéfique pour les producteurs, car ils ne perdent pas de marchandise. « Nous leur vendons moins cher que le prix du marché, mais pas en dessous de notre prix de production. Le but ce n’est pas de produire pour eux, mais c’est d’éviter de jeter des bons lé­gumes », affirme t-elle. Cette volonté de ne pas gaspiller de légumes frais, pourtant bons à la consommation, se retrouve également du côté des restau­rateurs, dernier maillon de cette chaîne avant les consommateurs. AlTERREna­tive est une entreprise de restauration pour les établissements scolaires. Elle travaille avec Atypique depuis deux ans. Patrick Augagneur, responsable des achats alimentaires et gérant de la restauration, explique les raisons de leur collaboration : « Parmi trois des di­rigeants de cette entreprise, deux sont fils d’agriculteurs, moi y compris, on sait ce que représente ce gaspillage, le travail et la perte ». L’objectif de cette entre­prise est d’acheter des produits frais et locaux, de les transformer et de les proposer aux enfants dans leurs can­tines. Pour les restaurateurs, le choix d’acheter des produits déclassés est une question de valeur morale : « Les produits sont tout aussi bons », affirme Patrick Augagneur. L’objectif est aussi de sensibiliser le public : « On essaie d’apprendre aux enfants que l’aspect ne fait pas tout, mais on l’explique surtout aux parents. Le coût des produits est répercuté sur le prix de la cantine, donc ils doivent savoir pour quoi ils payent », indique Patrick Augagneur. L’occasion d’aider les ménages à consommer mieux, les éclairer sur le gaspillage alimentaire et les inciter à oeuvrer contre. La boucle est ainsi bouclée.

Eva Laplace

RÈGLEMENT

Une législation fournie, mais incomplète

Le gouvernement français s’est saisi du problème du gaspillage alimentaire dès 2013.

Le gaspillage alimentaire est défi­ni comme étant toute nourriture destinée à la consommation hu­maine qui, à une étape de la chaîne alimentaire, est perdue, jetée ou dé­gradée. En 2013, la France a mis en place un Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire. Ce pacte vise une diminution de 50 % du gaspillage alimentaire en France d’ici 2025. Pour y arriver, plusieurs lois ont été mises en oeuvre. La loi dite « Garot », de fé­vrier 2016, établit une hiérarchie dans les actions : favoriser la prévention du gaspillage, utiliser les invendus en les donnant ou en les transformant et uti­liser les restes alimentaires à des fins de compost pour l’agriculture. De plus, cette loi interdit la destruction d’ali­ments encore consommables.

En 2019, en application de la loi Égalim, l’obligation de don à une association est étendue aux restaurateurs de plus de 3 000 repas par jour et aux opéra­teurs de l’industrie agroalimentaire de plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires par an. L’interdiction de rendre impropre à la consommation des aliments encore consommables est également étendue à ces restau­rateurs et industries. En 2020, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (loi Agec) apporte des précisions sur la définition du gaspillage alimentaire et fixe des objectifs de réduction. Elle introduit un label national « anti-gaspillage ali­mentaire » pouvant être accordé à tout établissement de la chaîne alimentaire qui contribue aux objectifs nationaux de réduction du gaspillage alimentaire. Elle renforce le plan de gestion de la qualité du don, en introduisant des procédures de suivi et de contrôle. Enfin, elle étend les obligations de la loi Garot aux opérateurs de commerce alimentaire de gros et augmente les sanctions liées au non-respect de ces dispositions. Enfin, au niveau des ter­ritoires, la lutte contre le gaspillage alimentaire se concrétise à travers les projets alimentaires territoriaux (PAT), déclinaisons du programme national pour l’alimentation (PNA). Aucune des lois promulguées par l’État ne contraint les agriculteurs sur le gaspil­lage alimentaire. Le Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire était prévu pour 2025. Les études mon­treront si l’objectif d’une diminution de 50 % du gaspillage alimentaire a été atteint.

E. L.