À l’automne prochain, la marque drômoise 1083 livrera ses premiers jeans fabriqués à partir de coton français, en provenance de la Drôme et du Gers. Joris Roux, jeune ingénieur agronome, originaire de Romans, a été l’un des catalyseurs de ce projet. Non sans essuyer les plâtres de cette culture jusqu’alors dévolue aux climats de la Grèce ou du sud de l’Espagne.
Dans un des hangars de l’ancienne exploitation de son grand-père, Joris Roux, 29 ans, abrite des big bags de coton fraîchement égrainé. Ce coton, récolté en 2022 dans la Drôme et le Gers, sera bientôt filé, tissé, coupé et cousu en France. La marque 1083, née il y a dix ans à Romans-sur-Isère, proposera dès l’automne ses premiers jeans en coton français. À quelques kilomètres du siège de 1083, Joris Roux s’est lancé dans la culture de coton sur les terres familiales. Ingénieur agronome de l’Ensat de Toulouse, le jeune homme est responsable de projet chez un prestataire en expérimentation végétale. En parallèle, il a repris en 2020 une dizaine d’hectares appartenant à son grand-père et s’est lancé dans la production de semences, de céréales, d’oléoprotéagineux et de coton. Une culture pour laquelle il n’existe aucune référence en France.
Une culture exigeante en chaleur
C’est en Grèce, plus gros pays producteur de coton en Europe (lire encadré), que Joris Roux a trouvé ses semences. En 2019, il sème, à la main, une petite surface de coton en testant plusieurs dates de semis, puis en 2020 il renouvelle l’opération avec une seule date de semis. « Dans les deux cas, je suis parvenu au bout de la culture. En 2021, je me suis donc dit “ça marche” et j’ai annoncé à 1083 que j’allais développer la culture sur 8 000 m² en conditions agricoles réelles », détaille le producteur. Mais, ce sera la douche froide. « Un zéro pointé, commente Joris Roux. Je n’ai rien récolté à cause des conditions climatiques, avec une année froide et très pluvieuse. » Si l’agronome vise un semis autour de la fin avril-début mai pour une récolte fin septembre-début octobre, il insiste sur plusieurs points clés. « Le coton a besoin d’humidité mais il déteste avoir les pieds dans l’eau au démarrage, ce qui fut le cas en 2021, et surtout il est exigeant en termes de chaleur. Au semis, il lui faut un sol réchauffé au moins à 15°C et dans l’idéal pendant la phase de croissance des températures en journée comprises entre 25 et 30°C et la nuit autour de 13 à 15°C », décrit-il. L’année 2022 s’avérera particulièrement adaptée à la culture. Mais là encore, le jeune producteur essuiera les plâtres de sa démarche expérimentale. « J’avais semé trois variétés sur 1,5 ha dont 9 000 m² conduits en irrigué car jouxtant une parcelle de soja sous pivot et 6 000 m² en sec. J’ai fait toute ma récolte sur la partie en sec où le coton n’a reçu qu’un seul orage en juillet. Sur la partie irriguée, je n’ai pas eu le temps de biner au bon moment et l’ambroisie s’est installée dans la parcelle. J’ai dû tout broyer fin juillet-début août », indique-t-il.
Valorisation dans des filières d’exception
L’année dernière, alors qu’il réalisait sa première récolte de coton drômois pour 1083, des producteurs du Gers, qui venaient d’en récolter 3 ha, ont aussi contacté le fabricant de jeans. Equipé depuis avril dernier d’une égreneuse commandée en Chine - non sans quelques frayeurs sur la livraison - Joris Roux a pris en charge l’égrenage de la totalité du coton, le sien et celui des producteurs gersois. Il estime à 500 kg brut (avant égrenage) par hectare le rendement réalisé, tant dans la Drôme que dans le Sud-Ouest. « Les gros producteurs mondiaux se situent plutôt entre 2 et 4 tonnes brut soit 800 à 1,2 t/ha de fibre », souligne-t-il. La valorisation du coton français ne peut donc être envisagée que dans des filières d’exception (lire encadré). « Le prix au kilo annoncé pour notre production est six à sept fois plus élevé que le coton mondial », précise Joris Roux. Son ambition : développer une filière sous contrat, où il proposerait aux producteurs d’acheter leur coton brut, de l’égrainer et de le revendre à la filière textile, voire de valoriser l’huile des graines auprès de la filière cosmétique et les tourteaux en alimentation animale. De nombreux écueils techniques restent toutefois à franchir. « Cette année, j’ai semé le coton fin avril en même temps que le tournesol. La levée a été plutôt bonne mais, à cause des conditions climatiques en mai, pourriture et limaces ont attaqué les racines. J’ai donc dû ressemer 1,5 ha fin mai », confie Joris Roux. L’agronome poursuit ses essais pour identifier les variétés les plus adaptées en termes de précocité mais reconnaît que ses terres se situent certainement en zone limite nord pour le coton. Mais la piste mérite d’être étudiée pour diversifier des assolements dans un contexte de réchauffement climatique.
Sophie Sabot
Une stratégie qui permet de rémunérer le coton français
Avec le coton produit en 2022 dans la Drôme et le Gers, la marque 1083 estime pouvoir fabriquer quelque 1 000 jeans.
« Pour nous, l’enjeu est de relocaliser au maximum toutes les étapes de fabrication, y compris la production de coton », résume Thomas Huriez, fondateur de la marque 1083. L’idée de Joris Roux de lancer une filière coton française a séduit l’entrepreneur drômois, conscient que ce coton sera beaucoup plus cher. « Mais nous cherchons à acheter le plus cher possible. C’est notre modèle, nous ne mettons pas d’argent dans la pub, dans le marketing, nous n’en distribuons pas à des actionnaires, donc il en reste pour le producteur », défend Thomas Huriez. La fibre neuve ne représente toutefois qu’une partie du produit fini. « Nos poubelles sont remplies de fibres textiles. Il y a un véritable intérêt à massifier le recyclage mais la fibre recyclée ne suffit pas. Elle doit être associée à de la fibre neuve dont nous préférons qu’elle ne provienne pas d’une agriculture intensive », poursuit-il. C’est cette stratégie qui permet à 1083 de rémunérer le coton français, en l’associant à la compétitivité d’une fibre recyclée. Le jean « 100 % français » de 1083 - promis à l’automne pour ceux qui l’ont déjà commandé en prévente -, sera proposé au prix de 169 €. « Le prix juste pour chaque acteur de sa fabrication », estime l’entrepreneur. Quant à la question d’utiliser des terres pour produire de la fibre textile, à l’heure où la souveraineté alimentaire est au coeur des débats, Thomas Huriez se veut rassurant : « L’idée est bien de cultiver du coton là où c’est structurant pour les agriculteurs et en s’interrogeant sur l’intérêt qu’il peut présenter dans une rotation avec des cultures alimentaires. »
S.S.
Matériel / Cueilleuse d’occasion en projet
Pour le coton comme pour ses autres productions, Joris Roux fait appel à un prestataire pour tout ce qui concerne le travail du sol, le semis, les engrais… En 2022, sur les 6 000 m² en production, son grand-père a assuré une grande partie de la récolte manuelle. Le coton se récolte sur un arbuste d’un mètre de haut. Tout au long de l’été, l’arbuste fleurit de manière indéterminée puis les fleurs se transforment en capsules. « On en compte trois à quatre par branche, assez semblables aux bogues du châtaignier [épines en moins, ndlr] », décrit le producteur. Lorsqu’elles s’ouvrent, elles libèrent les graines entourées d’une fibre blanche, récupérée lors de l’égrenage.
La mécanisation de la récolte est rendue compliquée car les capsules n’arrivent pas forcément à maturité au même moment. « Aux États-Unis par exemple, des régulateurs de croissance et des dessicants sont utilisés pour obtenir une maturité synchronisée », explique Joris Roux. S’il n’envisage pas d’appliquer ces pratiques, il se questionne sur la nécessité cette année d’acquérir une cueilleuse d’occasion pour récolter ses 1,5 ha et a déjà pris des contacts en Espagne et Grèce.
S.S.
Le coton en Europe et dans le monde
Au sein de l’Union européenne, trois pays cultivent du coton sur une superficie d’environ 320 000 ha : la Grèce (80 % des surfaces), l’Espagne (Andalousie, 20 %) et la Bulgarie pour moins de 1 000 ha. La production de l’UE représente à peine plus de 1 % de la production mondiale, estimée à 25 millions de tonnes l’année dernière. La Chine et l’Inde restent les leaders mondiaux avec respectivement 5,8 et 5,3 Mt produites en 2022, devant les États-Unis (3,8 Mt).