CHÂTAIGNE
Préserver la connaissance des 65 variétés ardéchoises
C’est une histoire de transmission orale et de quête de connaissance, pour que le savoir des anciens perdure au profit des défis qui attendent les nouvelles générations de castanéiculteurs.
Bonnefaçon, Greppe des Cévennes, Bouche de Payot, Rougeroune, Mazette, Platette… Ces noms ne vous disent rien ? Moins connues que leurs consœurs, la Comballe ou la Bouche Rouge, ces châtaignes font pourtant partie des 65 variétés endémiques protégées par l’AOP Châtaigne d’Ardèche.
Au cœur des collines verdoyantes de Vernoux-en-Vivarais, se trouve la station expérimentale, mise à disposition par le Département pour la chambre d’agriculture. Celle-ci abrite des parcelles d’expérimentation, gérées par la chambre d’agriculture de l’Ardèche, ainsi qu’un verger conservatoire et une pépinière supervisée par le syndicat de défense de la Châtaigne d’Ardèche (SDCA). Ce projet conservatoire, lancé il y a un an, fait partie du second plan filière châtaigneraies traditionnelles financé principalement par la Région Auvergne Rhône-Alpes et le GEVES (groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences).
Si certaines variétés sont très connues, d’autres conservent une part de mystère. « Parmi les 65 variétés, nous connaissons bien 5 à 10 d’entre elles et assez bien 10 à 15, tandis que le reste des variétés est présent sur quelques exploitations. Cette connaissance est donc morcelée et disséminée », introduit Hélina Déplaude, conseillère spécialisée châtaignes à la chambre d’agriculture. Le risque ? « Que certaines variétés se perdent, car elles sont parfois très localisées, cultivées sur une seule commune ou par un seul agriculteur », ajoute Julien Massias, animateur et chef de projet pour le SDCA. Cette connaissance transmise oralement pourrait ainsi disparaître avec le départ à la retraite des agriculteurs, rendant difficile l’identification des variétés pour les nouveaux castanéiculteurs.
Mandaté par le SDCA, Jacky Reyne, ancien conseiller à la chambre d’agriculture, a publié un livre intitulé « Châtaigne et Marron d’Ardèche », qui recense les 65 variétés de l’AOP. Véritable bible, cet ouvrage sert de point de départ pour la création de ce verger, dont le double objectif est de greffer les variétés locales adaptées au terroir afin de préserver les connaissances sur les variétés endémiques les plus rares, mais aussi d’identifier celles qui pourraient le mieux s’adapter au réchauffement climatique et à la chaleur. Le verger s’étend sur 2 hectares et compte trois arbres plantés par variété, pour un total de 100 variétés, soit 300 arbres dans l’ensemble de la parcelle. Environ une trentaine de variétés ont déjà été greffées. L’irrigation, quant à elle, est reliée au réseau d’irrigation de la station expérimentale issue d’un lac de stockage, et s’effectue par microaspersion.
Dénicher les types les plus rares, mode d’emploi
C’est un véritable travail de fourmi qui débute afin de répertorier l’ensemble des variétés. « Avec l’AOP, les producteurs soumettent une déclaration indiquant les variétés qu’ils cultivent pour s’assurer qu’il n’y a pas d’hybrides. Lorsque nous constatons que d’anciennes variétés sont déclarées sur le document, nous les contactons pour récupérer des greffons », indique l’animateur du syndicat.
Un verger pour une approche holistique des variétés
Outre les 65 variétés traditionnelles, le verger comprendra également des variétés des Cévennes et d’autres pays producteurs comme l’Espagne, le Portugal et l’Italie, reconnus pour la qualité de leurs châtaignes et leur résistance à la sécheresse. « L’objectif est d’étudier le comportement agronomique de ces variétés, notamment leur résistance aux maladies et à la sécheresse, afin d’identifier celles qui seront les plus intéressantes dans un contexte de changement climatique, et leur pertinence pour le territoire », révèle Hélina Déplaude. « Une fois que les variétés seront greffées, nous les décrirons de façon homogène, par rapport à certains critères visuels de l’Inrae : forme, couleur, bogue, phénologie. C’est une description physique pour permettre aux castanéiculteurs de les reconnaître », ajoute-t-elle.
Des porte-greffes résistants à l’encre pour préserver les plants
Pour donner toutes ces chances au verger, les variétés Castanea Sativa sont greffées sur des porte-greffes Marsol, hybrides naturels, croisement entre un châtaignier européen (Castanea sativa) et japonais (Castanea crenata), résistants à la maladie de l’encre :
« Ce qui nous confère l’assurance de ne pas développer de dépérissement lié à la maladie de l’encre. Car la maladie de l’encre remonte, du fait de la disparition des froids hivernaux qui la freinait jusque-là », signale Julien Massias. Un deuxième projet de verger conservatoire est prévu à Jaujac en 2025, comprenant la plantation d’une soixantaine d’arbres et cette fois-ci, un projet de greffage sur souche, qui correspond bien à ce que les castanéiculteurs ont l’habitude de faire.
M.M.
Si vous avez ces variétés dans vos vergers, n'hésitez pas à le faire savoir !
Si vous avez dans vos vergers, ou connaissez un agriculteur cultivant l’une de ces variétés rares, n’hésitez pas à contacter le SDCA ! Parmi les variétés encore non retrouvées pour enrichir le verger conservatoire, sont recherchés : Bardenache, Bastard du Gua, Bonnefaçon, Bouche de Payot, Champfiagouse, Champsello, Dauphinenche, Duralin, Greppe des Cévennes, Guyot, Marron Vincent, Mazette, Platette, Précoce de l’Eyrieux, Roussette de l’Eyrieux et Signarello.
Des parcelles expérimentales pour explorer la résistance à la maladie de l'encre
La station expérimentale, qui comprend le verger conservatoire, inclut également une zone dédiée aux expérimentations, gérée par la chambre d’agriculture depuis 1992. Les essais menés sur ces parcelles portent sur les ravageurs et les maladies des fruits (comme les pourritures et les vers), ainsi que sur les porte-greffes résistants à l’encre. « Nous travaillons sur trois types de porte-greffes : les hybrides historiques, pour lesquels nous disposons de nombreuses informations, les hybrides récents, pour lesquels les connaissances sont encore partielles, et les châtaigniers européens résistants à l’encre. À ce sujet, des recherches sur des porte-greffes de châtaigniers Sativa résistants à l’encre sont également en cours », détaille Hélina Déplaude, conseillère spécialisée châtaignes et petits fruits à la chambre d’agriculture. À terme, l’objectif est de rendre ce lieu accueillant pour les visiteurs, afin de diffuser les connaissances autour de cette culture emblématique de l’Ardèche.
Une pépinière pour aider à la « reconquête » des châtaigneraies
La pépinière est un projet initié par le SDCA pour fournir à ses adhérents des plants greffés en variétés traditionnelles AOP, comme la Bouche de Clos et la Comballe, sur des porte-greffes Marsol résistants à la maladie de l’encre. « Ce type de plant n’existait pas sur le marché, et il était impossible de trouver des variétés rares ou confidentielles chez les pépiniéristes », relate Julien Massias. « Pour certaines variétés, par exemple, nous ne produisons qu’une quarantaine de plants. Aujourd’hui, les producteurs sont touchés par la maladie de l’encre. Certains cherchent à reconstituer leurs châtaigneraies en replantant des variétés résistantes dans les zones affectées », poursuit-il. Avec environ 1 500 à 2 000 plants de châtaigniers produits chaque année sur porte-greffes résistants, la pépinière soutient des projets de plantation et de greffage, illustrant le dynamisme de la filière.