PERMACULTURE
Keyline design : une expérimentation en Ardèche
Pour stocker davantage d'eau dans les sols et faire face aux sécheresses récurrentes une expérimentation est menée à Champis. Sur une prairie de 11 ha, la technique du keyline design est mise en pratique.
Ces rigoles de 50 cm de profondeur pourraient ressembler à des béalières, à la différence près qu'il ne s'agit pas là d'acheminer l'eau mais de l’infiltrer. L'objectif de ces keylines (lignes clés en anglais) est de travailler sur les courbes de niveau afin de ralentir l'eau et de favoriser son absorption par les sols, notamment sur les crêtes les plus sèches. Développée au siècle dernier en Australie, cette technique utilisée dans les pays anglo-saxons s'exporte peu à peu à travers le monde. En France, c'est notamment au col de Leyrisse à Champis que le keyline design est expérimenté sur une parcelle de 11 ha.
Se servir du sol comme d'une éponge
Le projet inauguré en grande pompe, vendredi 3 mars, est installé sur l'exploitation de Clément Damiens, qui élève 550 brebis sur 150 ha de terres, dont 20 ha de parcours et de landes. Mais depuis qu'il s'est installé, il y a 4 ans, Clément a connu des sécheresses à répétition (seule l’année 2021 a fait exception à la règle). Alors quand, en 2020, les élus de la communauté de communes Rhône Crussol viennent l'interroger sur ses besoins, il n'a pas hésité une seconde : « La priorité c’est l’eau, on a besoin de pouvoir la stocker ! » Et si les projets de retenues se heurtent souvent à des blocages, la solution la plus vertueuse et la moins cher reste encore le stockage dans les sols.
« On va se servir du sol comme d’une éponge », résume Eric Ydais, accompagnateur du projet et formateur en permaculture. Cela devrait aussi permettre de limiter l’érosion des sols, un problème récurrent renforcé par le ruissèlement en période de fortes pluies. « Et avec le changement climatique, les sécheresses risquent de passer de 2 à 4 mois mais le volume d’eau sur l’année restera le même », rappelle Eric Ydais.
Régénérer les sols
Mais cette méthode de keyline design, ne se caractérise pas seulement par ces fossés qui permettent de ralentir l’eau. C’est toute une logique permacole qui est pensée autour de ce projet. Au-dessus de la rigole (appelé « swale ») qui s’étend sur 2 km, plus d’un d’un millier d’arbres et arbustes ont été plantés pour stabiliser la butte, limiter l’évapotranspiration et fixer davantage l’azote dans les sols. On trouvera aussi deux petits bassins d’eau (l’un bâché et l’autre non) pour permettre à l'eau de se déverser et pour piéger les sédiments. Enfin une vingtaine de parcs seront délimités pour pouvoir effectuer une rotation avec les brebis, tous les trois jours, et ainsi éviter le surpâturage.
Avec ce projet, cette butte granitique dont la famille Damiens n’a jamais rien pu faire pourrait connaître une nouvelle vie de fertilité. C’est en tout cas l’ambition de l’accompagnateur Eric Ydais et de la communauté de communes Rhône-Crussol qui a donné l’impulsion à cette expérimentation. Clément Damiens, qui ne connaissait pas le keyline design il y a encore quelques mois, croit lui aussi à la réussite de ce projet. En tout cas il l’espère !
« De toute façon on n’a rien à perdre… Il faut essayer », martèle-t-il. Pour lui l’expérimentation, pratiquée de tout temps en agriculture est la seule solution face aux défis qui attendent le secteur. « Forcément, on va parfois tester des choses qui ne vont pas marcher, mais il ne faut pas continuer dans un système qui ne fonctionne pas ! Ça ne veut pas dire que tout est négatif mais il y a beaucoup de choses à améliorer si on veut pouvoir faire face aux contraintes de la nature. Et pour ça, on doit être soutenu. »
Pauline De Deus
2 ans d’observation
Débuté en novembre 2022, le projet et ses effets sur le sol vont être suivis jusqu'en 2024. Dès cette année plusieurs points vont être sélectionnés de manière aléatoire. Sur ces points, sur une surface d’environ 1 m², le sol va être analysé. Les résultats obtenus chaque année vont ensuite être comparés pour connaître en détail l’effet du keyline design sur les sols granitiques ardéchois. Selon les résultats, d’autres expériences pourraient être portées par le communauté de communes Rhône Crussol, notamment dans les vignobles.
Chiffre : 68 788 €
C'est le coût total de ce projet. La moitié du financement est apporté par la compagnie nationale du Rhône (CNR) qui participe à hauteur d'environ 34 000 €, l'État apporte quant à lui une aide d'environ 10 000 € et le reste est apporté par Rhône Crussol, à hauteur d'environ 17 000 €. La part d'autofinancement pour l'agriculteur est de 6 000 €, ce qui correspond au temps de travail que Clément Damiens va devoir fournir pour mener à bien le projet mais aussi pour communiquer autour de cette expérimentation et des résultats.