HISTOIRE
L’agriculture française pendant les JO de 1924

À l’occasion des Jeux olympiques qui se déroulent en France, replongeons-nous dans l’agriculture des années 1920, en particulier celle de 1924, date des deuxièmes Jeux olympiques qui se sont déroulés à Paris, après ceux de 1900. Tour d’horizon des sujets agricoles français et parfois internationaux qui ont animé l’actualité de l’époque.

L’agriculture française pendant les JO de 1924
La France agricole et rurale des années 1920. Ce n’est que vers les années 1931-1932 que la population urbaine deviendra majoritaire. ©agriculture.gouv.fr

Sur le plan politique, la France de 1924 traverse une crise institutionnelle. Les élections législatives des 11 et 25 mai voient le Bloc national s’effondrer. C’est sous ce nom qu’avaient été élus, en mai 1919, 412 députés du centre et de la droite (sur 613 sièges) notamment conduits par Georges Clemenceau. Cinq ans plus tard, la droite parlementaire s’effondre, l’opinion ne lui pardonne pas sa politique de rigueur budgétaire. Le Cartel des Gauches, qui réunit la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO - ancêtre du Parti socialiste) et les radicaux de gauche emportent la majorité (327) des 581 sièges. Le 11 juin, le président de la République, Alexandre Millerand, qui avait soutenu la droite modérée est contraint à la démission. C’est Gaston Doumergue, président du Sénat, qui lui succède. Édouard Herriot est nommé président du Conseil et appelle Henri Queuille pour s’occuper du ministère de l’Agriculture. À cette date, la France est encore agricole et rurale. Ce n’est que vers les années 1931-1932 que la population urbaine deviendra majoritaire. Seule une vingtaine de villes environ dépasse 100 000 habitants, dont Paris qui compte alors presque 3 millions d’habitants1.

Déficit de blé en Europe

Fin juin, début juillet 1924, une grande question agite le monde agricole : « Quelle va être notre politique du blé ? » interroge le bimensuel L’Agriculture nouvelle (lire encadré), sous la plume d’André Courtin, vice-président de l’Union centrale des syndicats des agriculteurs de France. En cause, les coefficients multiplicateurs sur les droits des matières premières qui doivent être soit reconduits ou bien supprimés le 1er août 1924, mais aussi la baisse des surfaces. Depuis 1913, la culture du blé en France a « diminué de plus d’un million d’hectares. En 1923, 5,5 M ha avaient été ensemencés en blé. Depuis 1923, la progression, non seulement s’est arrêtée, mais est devenue négative. 100 000 ha de moins, soit une diminution de 1 500 000 quintaux au bas mot dans notre récolte. C’est plus de 100 millions de francs que nous serons obligés de débourser en supplément pour notre nourriture ». D’autant plus que dans le même temps, nos concurrents font rage : « Le Canada a augmenté ses emblavures de 50 %, doublant son étendue et sa production », les États-Unis ont eux aussi augmenté leurs surfaces de 15 %. « Tel est le bilan de la culture mondiale du blé : déficit en Europe, excédent en Amérique, tout prêt à nous envahir. » Une question d’autonomie et de souveraineté agricole et alimentaire en quelque sorte. « La France s’éloignera de plus en plus de ce but qu’elle touchait du doigt, si nécessaire à sa prospérité et à sa sécurité : produire tout le pain que réclame sa population », souligne André Courtin.

Pas assez de pommes de terre

Dans un autre article publié dans le numéro 1421 du 28 juin, l’ingénieur agricole Abel Beckerich lance un cri d’alarme : « Pour maintenir l’équilibre de nos cultures, faisons appel à la main-d’oeuvre étrangère ». Déjà en 1924, ce sont près de 80 000 ouvriers étrangers qui traversent les frontières pour aider aux travaux agricoles. Ils sont Belges, Polonais, Tchécoslovaques, Italiens, Suisses, Hollandais, Espagnols, Portugais, à travailler dans les cultures céréalières, les élevages et « fournir des artisans agricoles (maréchaux, forgerons et tonneliers) », précise l’auteur. En 1923, ce sont 67 288 ouvriers agricoles étrangers (dont 25 797 Polonais et 22 162 Espagnols) et 9 783 ouvriers forestiers (dont 5 084 Italiens et 3 489 Portugais) qui sont venus en France pour y travailler occasionnellement. Suivent d’autres articles sur les élevages combinés de chevaux et de bovidés au Haras du Perray dans la commune des Bréviaires (actuellement Yvelines), sur les grandes manifestations agricoles (foires, comices, concours…). D’autres nous rappellent les vicissitudes actuelles : Que faire devant une vigne grêlée ? « Dernièrement le Bordelais a été gravement atteint », rapporte le journaliste Paul Thiéry qui suggère : « Ne pouvant empêcher la grêle, assurons-nous contre elle ». Autre constat amer : « Nous ne produisons pas assez de pommes de terre » en France, regrettent les participants au Congrès de la pomme de terre qui s’est tenu à Limoges. Le sentiment d’inquiétude vise aussi les viticulteurs français qui sont victimes de la politique de prohibition qui touche les États-Unis. En effet, depuis 1920 (et jusqu’en 1933) un amendement à la Constitution des États-Unis interdit la fabrication, le transport, la vente, l’importation et l’exportation de boissons alcoolisées. Pour « organiser rationnellement » et compenser le manque à gagner américain, Bertrand de Mun, secrétaire général de la Commission d’exportation des vins de France, a l’idée de valoriser la production viticole à travers un « Film des grands vins de France », qui présente ses vignobles (Touraine, Anjou, Champagne, Rhône, Alsace, Bourgogne, Bordelais… ) et tous les paysages qui les accompagnent. Il faut alors que le vin de France « se montre partout. Il est inégalable et inégalé », s’enflamme le journaliste Anselme Laurence.

Christophe Soulard

1. Source Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).

Récolte des betteraves en 1920. ©DR

PRESSE AGRICOLE / L’Agriculture nouvelle

Créé le 25 avril 1891, L’Agriculture nouvelle est le supplément agricole du Petit Parisien, lui-même l’un des principaux quotidiens français avec Le Petit Journal, Le Matin, et Le Journal. Au début des années 1920, Le Petit Parisien, plutôt anticlérical et de gauche, tire à environ deux millions d’exemplaires par jour, ce qui est alors le tirage le plus élevé au monde. Parmi les rédacteurs, on trouve notamment le journaliste et écrivain Louis Roubaud et le grand reporter Henri Béraud, qui a obtenu le Goncourt en 1922. Ses locaux sont situés 18, rue d’Enghien dans le 10e arrondissement de Paris. L’Agriculture nouvelle paraît les 2e et 4e samedis de chaque mois. Chaque numéro coûte 50 centimes et l’abonnement annuel, 12 francs. Il est remplacé en 1941 par Le Fermier agricole.