AGROÉCOLOGIE
Améliorer ses pratiques à travers le dispositif Dephy
Vendredi 6 septembre, accompagnée par la chambre d’agriculture de l’Ardèche, la FDSEA et les représentants de la filière vitivinicole, la préfète de l’Ardèche, Sophie Elizéon, et la DDT se sont rendus au Domaine Jolivet à Saint-Jean-de-Muzols pour échanger avec les vignerons engagés dans le programme Dephy.
Au Domaine Jolivet, Bastien a repris l’exploitation familiale en 2014. Il y cultive 9 hectares de vignes en Saint-Joseph. Au fil des années, le vigneron a souhaité « retravailler ses coteaux de la meilleure manière possible, dans le respect du terroir », via le réseau Dephy, une démarche agroécologique, qui existe depuis 2016.
Ce dispositif, accompagné par la chambre d’agriculture, soutien les agriculteurs à réduire l’usage des phytosanitaires dans les vignes grâce à l’expérimentation et au changement de pratiques et à se rendre compte « qu’une autre agriculture est possible », témoigne Olivier Clape, vigneron à Cornas et membre du dispositif Dephy.
La réglementation des phytosanitaires, l’arrêt de certains intrants et le changement climatique, conduisent nombre d’agriculteurs à faire évoluer leurs pratiques et à explorer différentes techniques. Parmi les pratiques explorées, on trouve l’enherbement des sols, les semis, les paillages ou encore la fabrication de décoctions de plantes pour réduire l’utilisation des produits phytosanitaires. Cette approche a séduit de nombreux viticulteurs, et aujourd’hui, douze d’entre eux participent à ce programme. « Cette initiative, accompagnée par la chambre d’agriculture, répond également à une demande sociétale et favorise une transmission vertueuse des pratiques », résume Benoit Claret, président de la chambre d’agriculture de l’Ardèche.
Parmi les vignerons, certains sont déjà passés en bio, tandis que d’autres restent en conventionnel, mais reconnaissent avoir progressé dans leurs pratiques. « J’ai fait des progrès, même en conventionnel, j’ai réduit les désherbants et ne les utilise pas partout », témoigne un vigneron. Tandis qu’un autre, installé en bio, affirme avoir réduit par deux la quantité de cuivre utilisé lors de traitements. il n’y a donc, ni « bons » ni « mauvais » élèves : tous avancent dans une même direction. « Nous avons fait de grands progrès en viticulture par rapport à ce qui se faisait avant », approuve Christel Cesana, présidente de la FDSEA.
Si les vignerons ont la possibilité de saisir des opportunités d’expérimentation, même les plus inattendues, comme l’utilisation réussie du lait sur une parcelle, ce « privilège », est rendu possible grâce à la valorisation de leurs produits. « Nous travaillons avec des appellations vieilles de 90 ans, synonymes de qualité, ce qui nous permet de réduire les intrants et d’améliorer nos pratiques », explique Rémy Nodin, installé à Saint-Péray. « La valorisation de nos vins septentrionaux nous permet de prendre des risques et d’atteindre de nouveaux niveaux techniques. »
Diffuser ces pratiques pour une pédagogie grand public
Ces initiatives jouent également un rôle clé dans la communication avec le grand public. Au-delà de l’amélioration des pratiques visant à réduire l’usage des pesticides, le groupe Dephy offre aux vignerons un espace d’échange et de transmission des savoirs. Certaines pratiques inspirent d’autres vignerons, mais partager ces techniques et leurs résultats devient aussi un moyen de sensibiliser le public, notamment les riverains, afin de désamorcer les préjugés et apaiser les tensions. Avec l’urbanisation croissante des petites villes, les vignobles se retrouvent désormais à proximité des zones résidentielles. « Il y a une méconnaissance de notre travail, il faut recréer du lien », souligne Rémy Nodin, dont le domaine à Saint-Péray est désormais entouré par une petite ville périurbaine, alors que jadis, c’était un grand village. « Depuis deux ou trois générations, un gouffre s’est créé avec le monde paysan. »
L’œnotourisme est aussi déterminant dans la sensibilisation du grand public à la réalité du monde agricole. À travers des expériences immersives, telles que des visites de domaines et des rencontres avec les vignerons, l’agritourisme permet de toucher du doigt le quotidien des exploitations. Il s’agit de bien plus que de simples dégustations : « Nous aidons à comprendre comment nous travaillons et à lever les freins grâce à ces expérimentations », explique Ludovic Walbaum, président des Vignerons Indépendants et vice président en charge de l’œnotourisme au sein des Vignerons Indépendants de France. « En retissant des liens avec le public », comme en prévenant par SMS des jours de traitement dans les vignes, « on favorise une meilleure cohabitation. L’agriculture et la cité peuvent vivre côte à côte », conclut Lionel Fraisse, président de l’AOP Saint-Péray.
La main-d’œuvre, fer de lance de la productivité
Profitant de la visite de la préfète pour discuter des défis auxquels la filière viticole est confrontée, la question de la main-d’œuvre a également été soulevée. « Personne ne vient plus postuler comme il y a trente ou quarante ans. Aujourd’hui, je dois me déplacer sur des forums ou publier des annonces sur Facebook pour trouver de la main-d’œuvre », explique Rémy Nodin.
Si tout le monde a un avis sur les causes liées à la raréfaction de la main-d’œuvre, tous s’accordent à dire que cela constitue un obstacle majeur à la productivité des exploitations. Une partie de la solution pourrait venir du tout nouveau groupement d’employeurs en Ardèche : « Ce groupement vise à fidéliser l’emploi et à faciliter la recherche de travailleurs en regroupant les demandes », explique Christel Cesana.
Après la pérennisation du dispositif TODE (Travailleur Occasionnel Demandeur d’Emploi), revalorisé à 1,25 fois le SMIC, qui permet aux employeurs agricoles de bénéficier d’exonérations de cotisations sociales pour l’embauche de travailleurs saisonniers, les agriculteurs souhaitent aller plus loin et étendre le dispositif à la main-d’œuvre permanente « pour au moins les premières années », soutient Sylvain Bertrand, producteur de cerises et élu à la chambre d’agriculture. « La prolongation de ce dispositif est essentielle pour dynamiser nos exploitations », martèle Christel Cesana.
Ces échanges ont servi de rappel important en cette période de rentrée, pour la préfète de l’Ardèche. Après la nomination du nouveau Premier ministre, il sera crucial de faire remonter ces éléments au futur ministre de l’Agriculture pour progresser rapidement sur ces enjeux. En fin de rencontre, Sophie Elizéon a souligné l’importance de la mise en place par le département de la « déclinaison des COP régionales au cœur de la transition écologique, permettant de passer de l’expérimentation à échelle d’une exploitation à une échelle départementale pour partager les bonnes pratiques et créer une dynamique vertueuse en réponse aux enjeux de l’alimentation durable ».
M.M.
Quid de l'expérimentation des drones ?
En bio ou en conventionnel, les vignerons s’accordent sur la pénibilité des traitements quotidiens appliqués à dos d’homme, dans les coteaux de l’Ardèche septentrionale.
En 2018, une initiative d’utilisation du drone dans les coteaux septentrionaux a été mise en place. Menée par le réseau des chambres d’agriculture, « elle visait à répondre aux contraintes liées aux fortes pentes », explique le président de la chambre d’agriculture de l’Ardèche, Benoit Claret.
Selon les vignerons, le drone présente deux avantages majeurs : réduire la pénibilité du travail et éviter le contact direct avec les produits phytosanitaires. « Malheureusement, nos ambitions ont été freinées », déplorent-ils, car l’expérimentation a été interrompue. « Nous attendons avec impatience un accord pour reprendre les essais avec les drones », déclare Lionel Fraisse, président de l’AOP Saint-Péray.
Le groupe des 30 000, pour relancer la filière cerise
Lors de la visite, le « petit frère » de Dephy, né en juin, a également été présenté : le groupe 30 000 cerises, qui réunit une dizaine de producteurs de cerises de la vallée du Doux, avec le même objectif, celui de répondre aux défis de la filière tout en réduisant les intrants.
« C’est une production emblématique de l’Ardèche », déclare en préambule, Christel Cesana, présidente de la FDSEA, également arboricultrice. « Nous sommes motivés par cette filière et depuis 2016, avec l’arrêt des insecticides et notamment de l’Imidan, nous devons trouver des solutions pour limiter les traitements », ajoute Sylvain Bertrand, élu à la chambre d’agriculture de l’Ardèche et producteur de cerises, à l’initiative du groupe. « Ce groupe a été formé en réponse à l’invasion de la Drosophile. Les cerises, ainsi que les petits fruits, sont les plus touchés », explique Christel Cesana. À l’instar de la myrtille sauvage.
Cette année, les chercheurs de l’INRAE ont effectué des lâchers de micro-guêpes appelées Ganaspis, le seul prédateur de la Drosophila suzukii, qui constitue un véritable fléau depuis quinze ans. Les producteurs de cerises espèrent un résultat similaire à celui du torymus, qui a sauvé les châtaigniers face à l’invasion du cynips. « Nous avons effectué deux lâchers. C’est une démarche collective : on lâche les micro-guêpes à un endroit pour qu’elles se diffusent et aident à protéger les exploitations », précise Christel Cesana. « Nous avançons vers des solutions qui nous paraissaient impensables il y a quelques années », ajoute-t-elle.
Le groupe 30 000 se concentrera sur plusieurs leviers : « L’humidité des parcelles, qui favorise la prolifération des ravageurs, et des variétés de cerises moins sensibles. Nous prévoyons également de transmettre ces connaissances aux lycées pour sensibiliser les jeunes générations. L’objectif est d’abord d’établir un diagnostic agroécologique des pratiques des arboriculteurs, puis de travailler sur des solutions adaptées aux problématiques spécifiques de chacun », conclut Paul Sicot, conseiller en arboriculture à la chambre d’agriculture.