VINIFICATION
Observer la vie microscopique de la fermentation de son vin
Début septembre, la chambre d'agriculture de l'Ardèche a organisé une demi-journée technique dans le cadre du dispositif Dephy. Nombreux étaient les vignerons curieux de plonger dans l’univers microscopique de leur moût, afin d’en apprendre davantage.
Pour la plupart d’entre eux, l’utilisation d’un microscope était une première. « Aujourd’hui, nous apprenons à observer la flore indigène à travers un microscope », explique Delphine Engel, œnologue conseil et animatrice de la session devant la dizaine de vignerons d’Ardèche et des départements limitrophes, venus pour l’occasion.
L’objectif de la formation est d’enseigner aux vignerons à identifier et différencier les levures, les bactéries, ainsi que les dynamiques des divers échantillons de moûts, rapportés par les vignerons, qu’ils soient fraîchement vendangés ou en cours de fermentation. « Cette session, ouverte à tous, est destinée à ceux qui souhaitent mieux maîtriser les vinifications naturelles, comprendre les processus en jeu et suivre l’évolution de la fermentation », précise Amandine Fauriat, conseillère en viticulture à la chambre d’agriculture pour les côtes-du-rhône septentrionales.
Après la présentation des vignerons et de leur mode de vinification, en vin nature ou non, avec ou sans levures indigènes, réalisant leur propre pied de cuve ou pas encore, certains vignerons commencent à exposer leurs problématiques rencontrées à la vinification. Des « taux d’azote assez bas », des « pieds de cuves sans population de levure », ou encore « une fermentation languissante », tandis que d’autres ont des soucis avec les « bactéries acétiques en FA (moment où les sucres, naturellement présents dans le raisin, vont se transformer en alcool) ». « Je suis là pour mieux comprendre les différents types de levures qu’il y a dans ma cuve », témoigne une vigneronne.
Gérer les dynamiques de fermentation
L’œnologue, Delphine Engels, liste alors les leviers utilisés pour piloter les processus microbiologiques des fermentations : une construction commune des interactions entre micro-organismes et facteurs extérieurs.
Une fermentation dynamique repose sur la maîtrise de plusieurs facteurs : la gestion des températures des jus et de la fermentation, les nutriments, dont l’azote, qui peut être par ailleurs, apporté à la vigne par l’utilisation d’engrais foliaire et la gestion de l’azote assimilable. L’azote, « vrai levier pour arriver au bout des fermentations », est aussi minéralisé par les pluies qui rendent l’azote assimilable par les racines.
Ce dernier est nécessaire pour que les levures se multiplient correctement et achèvent la fermentation. Par exemple, des moûts riches en sucre exigent davantage d’azote pour permettre aux levures d’atteindre une population optimale. « Une concentration en azote de 140 mg/l est suffisante pour un moût à 11 degrés potentiels, mais peut aller jusqu’à 200 mg/l si nécessaire », précise l’œnologue.
En début de vinification, réaliser des pieds de cuves peut être bénéfique, car la dynamique des populations microbiennes varie chaque année selon l’état sanitaire des vignes et les conditions de récolte, telles que la température. Les levures se développent efficacement à partir de 12 °C, tandis que les bactéries prolifèrent au-dessus de 15 °C. « Le refroidissement du raisin peut ainsi devenir un levier pour réguler la fermentation, tout comme le contrôle du pH, idéalement entre 3,2 et 3,4, afin d’orienter le profil aromatique des cuvées. » Un pH trop élevé favorise le développement des Brettanomyces, levures responsables de défauts olfactifs dans le vin. Delphine Engel en profite pour rappeler l’importance de l’hygiène en cave, essentielle pour optimiser ces processus.
Des pieds de cuves avec levures indigènes sécurisées
« Pour réussir un pied de cuve, il faut priver les levures indigènes d’oxygène. Mais d’abord, il est important d’aller chercher des raisins dans les coins les moins mûrs de l’exploitation, car l’acidité est primordiale », détaille Delphine Engel. Elle précise qu’il est crucial de démarrer avec une population de levures suffisante, « une semaine avant les vendanges, avec une température idéale supérieure à 25 °C. Un ajout léger de SO2 (dioxyde de soufre) peut également être nécessaire pour limiter l’activité des bactéries lactiques. » Après la préparation du pied de cuve, il faut surveiller son évolution en analysant la densité, avec des remontages d’aération. « Ce qui permet aux levures d’être plus résistantes à l’alcool en fin de fermentation, en les plaçant dans un état de stress. »
Au microscope, on peut observer que les bactéries sont plus petites que les levures à l’œil nu. L’ajout de bleu de méthylène permet de vérifier si les levures sont vivantes. Cela offre également la possibilité d’observer différents types de levures, bactéries et leur densité. Plus la fermentation malolactique progresse, plus les chaînettes de bactéries s’allongent. « Si la densité bactérienne est élevée, un ajout de SO2 peut calmer l’activité », conseille l’œnologue.
« Cette formation est essentielle pour mieux comprendre ce qui se passe dans nos vins, essayer de comprendre la dynamique de population entre bactéries et levures, être plus autonome et anticiper les problèmes liés aux levures et aux bactéries », souligne Olivier Clape, vigneron sur Cornas. Une journée technique qui met en lumière la complexité croissante des fermentations, en partie liée au changement climatique. Ainsi, les vignerons repartent mieux armés, enrichis de nouvelles connaissances pour maîtriser leurs fermentations et améliorer leurs pratiques.