PORTRAIT
« Chaque femme doit prendre conscience qu'il y a des situations qui ne sont pas normales »
C’est sur l’exploitation « Goudard et filles » à Tournon que Camille Goudard, jeune vigneronne de 26 ans, a accueilli la table ronde « L’agriculture au féminin », organisée par Jeunes agriculteurs de l’Ardèche à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, vendredi 8 mars. Un sujet qui lui tient particulièrement à cœur. Rencontre.
Posé sur un coin de la table de cuisine, comme une invitation à s’emparer du sujet, trône une bande dessinée dépeignant les tribulations d’une femme dans le monde de l’œnologie face au sexisme ordinaire. Le regard vif, le pas leste, Camille Goudard, Dr. Martens aux pieds, est une jeune vigneronne dynamique bien ancrée dans son époque.
Déterminée à faire bouger les lignes à son échelle dans son milieu professionnel, elle est fière d’accueillir cette année la table ronde, autour d’un débat intergénérationnel traitant de la place des femmes dans l’agriculture.
Après des études d’œnologie et de viticulture, elle acquiert une expérience vitivinicole aux quatre coins de France, avant de rejoindre ses parents en tant que salariée, puis s’installe sur l’exploitation familiale en 2023.
Confrontée à des remarques de sexisme ordinaire, dès son entrée dans le monde professionnel, elle forge petit à petit ses convictions. « Quand j’étais en stage, je travaillais alors dans une cave. Le midi, on m’a dit d’arrêter ce que je faisais pour aller mettre la table pour les vendangeurs. » Une autre fois, c’est un collègue qui lui demande de refaire un gâteau, suite à celui pâtissé pour le jour de son anniversaire. Ce à quoi, la jeune femme rétorque ne pas être née avec le « gène du gâteau » et qu’il pouvait bien s’en faire un tout seul. Des anecdotes, qui font sourire, Camille Goudard en a à la pelle. De la plus légère aux allusions les plus inquiétantes. « Une fois, je me suis fait klaxonner alors que j’étais dans les vignes sur mon tracteur ! », raconte-t-elle. La vigneronne a déjà entendu parler de cas de harcèlement sexuel dans le milieu.
L’image d’Épinal du vin exacerbe les comportements misogynes
Cette misogynie à laquelle sont confrontées bon nombre de femmes, peu importe les domaines, est exacerbée selon Camille Goudard dans la sphère du vin, bénéficiant d’une aura particulière car estampillé « produit de luxe ». « Le vin a une image dorée, dans la gastronomie, l’œnologie… Pas mal de monde est encensé, que ce soient des sommeliers, des vignerons… Il y a un effet d’abus de pouvoir où les personnes se permettent des comportements ou des remarques déplacées », analyse-t-elle.
« Quand on est une jeune femme, on est moins prise au sérieux »
« Mon impression est que l’on part du principe qu’on ne va pas faire ce métier. Pour un garçon, c’est plus évident qu’il reprenne l’exploitation. De ce fait, on se met des barrières, même si c’est inconscient. Il est donc plus difficile de construire en amont sa confiance en soi, mais ça se travaille ! » L’agricultrice soulève également un autre pan du problème. « Il y a aussi l’idée encore très ancrée que pour toutes les activités physiques, nous ne sommes pas capables. Les mentalités doivent évoluer, mais aussi les façons de travailler et le matériel : les sacs d’engrais de plus de 25 kg ou encore l’ergonomie des tracteurs, tout est plus difficile dans l’agriculture. Tout a été pensé pour forcer, même pour les hommes ! Parfois, je mets plus de temps, mais surtout, j’opte pour d’autres méthodes, on s’adapte, on trouve toujours la solution », sourit la vigneronne.
Invisibilisation de la place des femmes sur l’exploitation
De son enfance, la jeune femme garde en mémoire une éducation « dans les schémas classiques. Ma mère est salariée de l’exploitation, mais elle gérait aussi le volet administratif, l’école et elle s’est aussi arrêtée davantage pour mes sœurs et moi ». Par contre, la jeune femme se souvient du statut de sa grand-mère paternelle : « Elle n’avait aucun statut. Son travail était complètement invisibilisé. Avant, les femmes n’allaient pas aux réunions, restaient en arrière-plan, les figures masculines étaient les principaux interlocuteurs », continue-t-elle. « On a l’impression que les agriculteurs travaillent davantage, mais parce que derrière, il y a les femmes qui font le reste : les papiers, les enfants, la maison, la logistique… C’est aussi l’image avec laquelle j’ai grandi et même si on en a conscience, c’est parfois difficile de faire la part des choses. J’avais l’impression qu’il fallait que je sois les deux : travailler autant que mon père et ma mère réunis. » Des comportements intériorisés dont Camille Goudard a su prendre conscience au fil du temps.
Les lignes bougent, mais les préjugés sont tenaces
Bien consciente que le milieu agricole « bouge par la force des choses » sur le sujet, grâce « aux femmes qui s’expriment davantage », la jeune ardéchoise insiste sur l’importance de sensibiliser pour faire évoluer la société. « L’événement de la table ronde est un moment de partage, on n’a pas toujours conscience des inégalités que l’on transmet. Entre femmes, on ose parler. » Mais la Tournonaise concède que cela peut être frustrant si les hommes, de leur côté, ne s’emparent pas de la problématique « Ce n’est pas à nous de faire leur éducation, car ce n’est pas nous le problème. Nous, on avance. »
Un militantisme assumé
L’Ardéchoise de 26 ans est catégorique : « Il faut arrêter de diaboliser le féminisme. Chaque avancée pour les droits des femmes a été réalisée grâce au militantisme, il faut se battre. Pour moi, c’est important de réagir et de faire ressentir que certaines remarques ne sont pas normales, et que nous devons être autant considérées qu’un homme ».
Pour les prochaines générations, Camille Goudard s’adresse autant aux jeunes femmes, futures agricultrices, qu’à elle-même. « Nous n’avons rien à prouver aux hommes, vous travaillez aussi bien qu’eux, même si vous devez le faire différemment. C’est aussi une question de confiance en soi et de savoir s’écouter avant tout. »
Aujourd’hui, la sœur cadette de la famille, actuellement caviste, rejoindra l’exploitation familiale d’ici quelques années, avant l’embauche peut-être d’un salarié permanent. « Une, ce serait bien », lance d’un sourire malicieux la cheffe d’exploitation.
M.M.
EN CHIFFRES / La place des femmes dans l'agriculture et le département
Les femmes représentent 29 % des actifs permanents agricoles contre 32 % en 2010.
Elles totalisent 1/4 des chefs d’exploitation coexploitant ou associés.
59 % sont cheffes d’exploitations coexploitantes ou associées, 24 % salariées et 17 % conjointes ou parentes du chef d’exploitation.
Source : Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire.
Dans le département, les femmes sont plus diplômées mais moins présentes sur le marché du travail et moins bien rémunérées.
Les métiers sont encore très genrés. En Ardèche de manière générale, les femmes occupent moins souvent des emplois de cadre (9,5 % contre 14,2 % pour les hommes).
Les métiers les plus occupés par les femmes sont agentes d’entretien (7,5 % des femmes en emploi), aides soignantes (7,5 %) et enseignantes (5,2 %).
La parité pour les élus locaux progresse lentement : 43,7 % de femmes dans les conseils municipaux mais seulement 25,1 % des femmes maires dans le département.
Source : INSEE Auvergne Rhone-Alpes
CULTURE / Pour aller plus loin
Des supports culturels ou encore des pages sur les réseaux sociaux sont consacrés à la libération de la parole des femmes dans des milieux traditionnellement plutôt masculins. Voici quelques pistes à explorer.
Compte Instagram : Payetonpinard.
Bandes dessinées : In Vino Femina ; Il est où le patron ?
Podcast : Filles de vignes, Paysannes en lutte.