ARBORICULTURE
Premier lâcher de Ganaspis contre la Drosophila Suzukii
Sur les hauteurs de Désaignes, au Gaec Bogue et Châtaigne, mardi 7 mai, a eu lieu le premier lâcher de Ganaspis, microguêpes destinées à s’établir dans l’environnement. Ce parasitoïde exotique lutte contre la mouche Drosophila Suzukii, véritable fléau pour les cerises et petits fruits.
« Aujourd’hui est un grand jour, c’est un espoir pour la polyculture ardéchoise », se réjouit Christel Cesana, 1ère vice-présidente de la chambre d’agriculture d’Ardèche. En effet, depuis 2008 et l’apparition dans les vergers de la mouche Drosophila Suzukii, l’invasion est hors de contrôle. Les dégâts causés par cet insecte ont assombri la culture de la cerise. Depuis une dizaine d’années, 100 hectares de cerisiers ont disparu du paysage ardéchois qui en comptait 800. L’exploitation de Cynthia Cellier et Benjamin Vignal, choisie pour inaugurer l’expérimentation en milieu réel, n’y fait pas exception : « Nous sommes installés depuis trois ans. Sur les deux années de récolte, nous avons eu 80 % de pertes », révèle l’arboricultrice. « Nous sommes dans une démarche de limitation des traitements. Aujourd’hui, la Drosophila Suzukii remet en cause la surface de vergers consacrés aux cerisiers. » Producteur de fruits voisin, Aurélien Soubeyrand renchérit : « À partir de 20 % de pertes, nous ne pouvons plus ramasser ».
Malgré différentes techniques utilisées, les résultats demeurent peu concluants. « Dû à sa présence dans les sous-bois, il est très difficile de contrôler la mouche avec des moyens chimiques », constate Christel Cesana.
« L’espoir renaît »
Alors, cette fin de matinée ensoleillée porte en elle l’espoir que « 2024 soit un renouveau pour la cerise. Car quand on enlève la cerise, on enlève le bénéfice de l’exploitation », affirme la vice-présidente de la chambre d’agriculture, également arboricultrice. Pour la première fois en Ardèche, 300 microguêpes Ganaspis, luttant contre la Drosophila Suzukii, ont été libérées aux abords de la parcelle de 1,5 ha de cerisiers du Gaec de Cynthia Cellier et Benjamin Vignal. Une mise en pratique, fruit d’un long processus théorique commencé en 2012 dans les laboratoires de recherche de l’Inrae.
Aucun parasitoïde européen n’a été retenu pour s’attaquer directement à la Drosophila Suzukii. Mais sur le sol asiatique, au Japon, une microguêpe nommée communément Ganaspis a piqué la curiosité des chercheurs de Inrae et a été ramenée sous quarantaine en France en 2016. Après sept années de recherches, pour déterminer les caractéristiques de l’espèce, les autorisations de lâchers ont été délivrées en 2022.
Acclimater la microguêpe dans l’environnement
Sa spécificité ? S’attaquer uniquement à la Drosophila Suzukii. « L’objectif est son acclimatation. Qu’elle s’installe, se diffuse et régule ainsi la population de Drosophila Suzukii », explique Nicolas Borowiec, ingénieur de recherche de l’Inrae Sophia Antipolis. Avec un cycle de vie de 4 à 6 semaines, « les femelles vont aller parasiter, c’est-à-dire piquer directement les larves de Drosophila Suzukii dans les fruits. Ce n’est pas une méthode curative, mais à terme cela va influer et réduire la population de Drosophila Suzukii », détaille le coordinateur de recherche.
Cette microguêpe est complexe à élever en laboratoire, car le parasitoïde attaque la Drosophila Suzukii uniquement dans les fruits frais - en cours de maturation - ce qui limite le risque d’attaque à d’autres drosophiles indigènes, qui colonisent uniquement les fruits tombés au sol et sont essentielles à la décomposition de la matière organique. L’enjeu était donc de trouver un insecte capable de s’en prendre uniquement à la Drosophila Suzukii et non aux autres drosophiles, précieuses pour la biodiversité.
Pour l’instant, impossible de déterminer à l’avance si le parasitoïde sera la cible d’autres d’ennemis naturels. Seules l’observation et l’analyse pourront déterminer l’impact du parasitoïde sur la Drosophila Suzukii. « Le suivi doit être long pour statuer sur l’installation de l’insecte, cela prendra quelques années », confie l’Inrae. Mais tant qu’aucune réelle solution n’est efficiente, Christel Cesana l’assure : « Il est important de maintenir les matières actives et de reconduire le plan d’urgence cerise sans exclusion1 ».
Marine Martin
1. Pour être indemnisé dans le cadre du plan d’urgence, il faut justifier d’une perte de chiffre d’affaires supérieure à 20 % de l’atelier concerné.
Pour les lâchers, une sélection de sites selon des critères précis
Afin d'optimiser les conditions d'acclimatation de la Ganaspis, le lieu sélectionné pour sa première libération a dû répondre à plusieurs critères essentiels.
Selon les chercheurs de l’Inrae, lâcher les microguêpes en zone sauvage, aux abords des parcelles ou sur des vergers abandonnés, présentent deux avantages : la Drosophila Suzukii exploite une centaine de plantes hautes dont les trois-quarts sont en milieu sauvage. « Nous souhaitons acclimater le parasitoïde dans un réservoir sauvage et miser sur une régulation de Drosophila Suzukii dans ce milieu », précise les chercheurs. De plus, libérer des Ganaspis en bordure de haies et non directement dans les zones cultivées permet de réduire les risques liés aux traitements qui pourraient nuire à l’acclimatation du parasitoïde. « Nous allons laisser au moins 10-15 mètres entre la bordure de haies et les premiers traitements », confirme Cynthia Cellier, du Gaec Bogue et Châtaigne, premier site d’étude. « Lors des différents suivis sur les sites d’expérimentation, nous allons être vigilants concernant les méthodes de gestions : si l’on retrouve de nombreuses Ganaspis en réserve sauvage et pas dans les parcelles, c’est qu’il y a probablement une problématique des traitements », relèvent les ingénieurs de l’Inrae. De leur côté, les techniciens de la chambre d agriculture ont la charge de repérer les sites les plus adéquats pour les lâchers de Ganaspis. « L’Inrae fournit un protocole avec les types de plantes hautes, fleurs sauvages et la densité recherchée. Nous listons toutes les espèces, par exemple, le taux de présence de ronciers, de genêts, de sureaux, etc. Nous choisissons également des sites avec des altitudes et climats différents. Puis, nous établissons une liste de sites d’expérimentation », développe Lucia Latre, cheffe du service économie et filières à la chambre d’agriculture. « Cette expérimentation est la première d’une longue lignée de lâchers mais tout dépendra de la capacité du laboratoire à fournir les insectes », en raison de la complexité de leur élevage.
Quid du calendrier ?
La période la plus propice pour lâcher des Ganaspis débute à partir de mi-avril et s’étend jusqu’en octobre. Au printemps, les traitements n’ont pas encore débuté, tandis qu’à la fin de l’été, la disponibilité des plantes hautes est à son paroxysme et l’insecte va davantage se reproduire. Désormais, ce sont les techniciens de la chambre qui prennent le relais pour le suivi. « Il nous faut désormais comprendre les paramètres exogènes et acquérir des données. Nous allons effectuer des prélèvements cet automne de fruits sauvages et cultivés pour observer la dynamique d’installation du prédateur et sa répartition : s’il colonise, se reproduit, etc. L’idée n’est pas d’effectuer des lâchers tous les ans, mais bien de l’introduire dans les environs et voir son effet sur la Drosophila Suzukii », indique Lucia Latre.
M.M.
Ganaspis, un scénario similaire à celui du Torymus contre le cynips du châtaignier ?
Puisque l’espoir renaît pour la cerise ardéchoise, les agriculteurs osent croire à un dénouement de scénario similaire à celui du Torymus pour le cynips du châtaignier. Insecte originaire de chine, le cynips est apparu en 2007 et a commencé à ravager jusqu’à 80 % de la production fruitière à partir de 2010. L’introduction de son ennemi naturel, le Torymus, entre 2011 et 2015, a permis à la production de redémarrer. Aujourd’hui, le cynips est canalisé. Seulement, Ganaspis n’est pas Torymus. « Concernant le Torymus, la biologie de l’insecte est très efficace mais par exemple pour la mouche de l’olive, il n’y a pas de parasitoïde efficace. Ganaspis sera sûrement entre les deux et va apporter un niveau de régulation certain mais pas suffisant pour réduire, sous le seuil de nuisances, les ravages de la Drosophila. Cependant sa diminution de population rendra le contrôle plus efficace et facilitera sa gestion pour les arboriculteurs », précise Nicolas Borowiec. « Il faudra mettre en place d’autres luttes de gestion comme les filets, les insectes stériles, etc. Une combinaison de levier est nécessaire pour que le parasitoïde soit efficace, il est fondamental de maintenir plusieurs pistes. »
Les financements pour la lutte biologique ont tardé à venir
Le plan d’urgence cerise de 2023 a permis de donner un coup de fouet à la recherche publique et de financer les actions de lutte biologique à travers le plan Ecophyto. « Avant le premier janvier de cette année, les recherches de lutte biologique contre la Drosophila Suzukii étaient menées avec d’autres aides non dédiées », révèle Nicolas Borowiec. « La lutte biologique manque de financement. Nous aurions gagné quelques années si nous avions eu des financements dédiés avant. Nous avons attendu d’être dans une impasse de solution technique alors que la recherche a commencé il y a 12 ans sur la Drosophila Suzukii », constate le chercheur.
Une recherche mondiale
La problématique de la Drosophila Suzukii n’est pas la singularité des cultures de cerisiers françaises. Ailleurs aussi, aux USA ou en Italie, la recherche avance et en ait sensiblement au même point. « Nous souhaitons vérifier les facteurs qui peuvent être un frein à l’épanouissement du parasitoïde et observer comment elle s’acclimate. Au niveau national, il y a eu cinq lâchers l’an dernier. La première recapture a eu lieu au mois de mai et les premiers résultats d’ici l’été », précisent les chercheurs de l’Inrae.
