FOURRAGE
L'inquiétante invasion du Séneçon du Cap

Marine Martin
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Derrière sa forme et sa couleur éclatante rappelant le soleil, le Séneçon du Cap dissimule sa toxicité. Cette plante envahissante et nocive pose de sérieux problèmes aux éleveurs, car elle envahit les prairies pénalisant à la fois les pâturages et les prairies de fauche.

L'inquiétante invasion du Séneçon du Cap
Des parcelles envahies par le Séneçon du Cap. ©Éric_Palisse

Dès l’apparition des premiers plants, une lutte s’engage entre l’agriculteur et la plante. Un compte à rebours est lancé pour détruire les plants avant que les fleurs ne s’égrènent au vent. Le risque ? Que les animaux d’élevage l’ingèrent car à terme le Séneçon du Cap peut être fatal.

« La situation la plus grave, est au nord du département. À partir de Vernoux, en dessous d’Annonay et la vallée de l’Ay. On voit même du Séneçon du Cap à 800 mètres d’altitudes », avertit Emmanuel Forel, conseiller agronomie et fourrages à la chambre d’agriculture de l’Ardèche. « J’en perçois moins au sud de l’Ardèche, sur les massifs calcaires que sur un sol granitique. Beaucoup de pâturages sont dégradés par la sécheresse ou surpâturés, ce qui facilite l’installation du Séneçon du Cap. On commence également à en voir sur des prairies de fauche », ajoute-t-il. Le changement climatique et l’augmentation de zones moins entretenues ont favorisé la prolifération du Séneçon en France, qui s’implante davantage lorsque la biodiversité fait défaut. « Le Séneçon fleurit trois ou quatre fois par an. Cet hiver, il n’a pas fait assez froid. Même avec des températures à -2 ou -3 °C, ça ne le détruit pas. De plus, depuis quatre ou cinq hivers, il ne gèle pas », déplore Éric Palisse, éleveur caprin sur Saint-Barthélemy-le-Plain, dont les prairies sont envahies de Séneçon du Cap.

Si la toxicité du Séneçon du Cap est indéniable, le risque est moindre dans les pâturages, où la plante au goût amer n’est pas consommée par les animaux. Cependant, une fois, la plante sèche et récoltée en fourrage (foin, ensilage, enrubannage), son amertume diminue. Le Séneçon peut alors être ingéré parmi d’autres plantes. De plus, certaines espèces d’élevage sont plus sensibles que d’autres à sa toxicité.

Une intoxication mortelle pour les équins et les bovins

Si les Séneçons du Cap sont toxiques, c’est à cause des composés organiques appelés alcaloïdes pyrrolizidiniques qu’ils renferment et qui s’attaquent au foie. Les fleurs sont les parties les plus toxiques. « Depuis 4, 5 ans, on voit apparaître de plus en plus de cas en France », constate Francis Mainage, vétérinaire dans la Drôme. En 2015, les services du GDS de la Creuse ont été les premiers à illustrer des cas de mortalité chez des bovins. Bien qu’il n’ait, à sa connaissance, pas suspecté de cas en Ardèche, le vétérinaire reste prudent : « Les symptômes sont courants et apparaissent en décalé », ce qui brouille la relation de cause à effet. « Les signes cliniques se manifestent lentement, car l’intoxication est chronique. Ils peuvent même apparaître plusieurs mois après la consommation. » En effet, les délais d’apparition de symptômes peuvent varier entre 5 jours et 5 mois, selon la quantité de plantes ingérées. « On perçoit tout d’abord un abattement général, c’est un syndrome hépatique. Ensuite, l’on constate également une perte de poids, des coliques et à la fin, une jaunisse. Les lésions sont souvent irréversibles », poursuit le vétérinaire. « Cela concerne principalement les chevaux et les bovins. » L’empoisonnement « fonctionne par dose cumulative, bien que parfois des intoxications aiguës soient constatées. Pour le cheval, la dose mortelle est d’environ 3 à 5 % de son poids, soit 50 à 300 grammes par jour consommé pendant 7 à 8 semaines. En revanche, le mouton est 10 à 20 fois moins sensible au principe toxique. Par kilo de poids vif, pour un cheval de 500 kg, cela correspond à 0,1 à 0,2 gramme par kg, alors que pour le mouton, il faut 2 à 4 grammes et pour la chèvre, 1 à 4 grammes. Tant que la dose toxique n’est pas atteinte, une amélioration de l’état est possible si la consommation n’a duré que quelques jours ».

Face au risque que représente la plante, quelles sont les techniques qui s’offrent aux agriculteurs dans leur lutte contre la prolifération du Séneçon du Cap ?

Arrachage des plants, broyage, labour, sursemis et désherbant n’en parviennent pas à bout

Pour faire reculer le Séneçon, pas de solution miracle. Il est nécessaire de le trier pour éviter sa présence dans les fourrages. Les agriculteurs utilisent diverses techniques en fonction de la mécanisation possible des prairies. « On passe avec le tracteur quand on le peut, sinon, on arrache à la main », témoigne Eric Palisse.

Même son de cloche du côté de la famille Fauritte du Gaec La Roche des Vents, éleveurs bovin et caprin à Saint-Alban-d’Ay. « Je broie le Séneçon du Cap après le passage des vaches pour éviter qu’il ne fleurisse et ne produise des graines. »

La course contre la montre débute alors, puisqu’il faut broyer, faucher ou arracher avant que le bouton floral ne forme les graines. « On bataille avec l’arrachage et le broyage, mais il revient toujours. Dans certains endroits, il est impossible de travailler le sol. Cette plante coriace a un potentiel de graines énorme. Elle prolifère surtout dans les parcelles non mécanisées. »

Même le labour ne garantit pas la disparition du Séneçon du Cap, puisqu’il prospère sur sol nu. Un cercle vicieux chronophage pour les agriculteurs, qui voient leur charge de travail augmenter. « À l’automne, j’ai passé jusqu’à trois jours à arracher le Séneçon et pour enrubanner la luzerne. »

Il y a bien un désherbant qui existe, le Garlon, mais celui-ci présente un inconvénient majeur, « il détruit tout ce qui est légumineuses, comme le trèfle », note Éric Palisse qui ne l’utilise pas.

Redensifier les prairies

« Il faudrait plusieurs années humides et des prairies sans trous pour lui laisser moins de place », avance Éric Palisse qui sursème ses prairies pour en améliorer la densité.

Pour Emmanuel Forel, « le problème, c’est qu’on ne traite pas la cause. Le Séneçon s’implante parce que la prairie s’est dégradée à un moment donné. Il faudrait donc redensifier les prairies. Ce qui n’est pas simple avec les extrêmes climatiques que nous connaissons. Pour l’heure, seuls le broyage, l’arrachage ou le désherbage sont mis en place : nous n’avons pas encore pu tester d’autres itinéraires techniques. On peut penser que le surpâturage est favorable à son développement et serait donc à éviter. Les parcelles les plus « maigres » semblent être les plus touchées : une augmentation de la fertilité serait à tester mais dans des zones peu mécanisables. Cela passe par une gestion du pâturage différente avec par exemple du pâturage tournant qui génère plus de restitution par les animaux », avance le conseiller technique. Pour l’heure, une réflexion commune est en cours pour essayer d’endiguer ce fléau.

M.M.

Carte d'identité du Séneçon du Cap
D’une durée de vie de 5 à 10 ans, les graines du Sénéçon du Cap (plus de 1 000) sont produites par pied et perdurent plus de 5 ans. ©Éric_Palisse
PLANTE INVASIVE

Carte d'identité du Séneçon du Cap

L’intoxication avec les séneçons est due à deux espèces en France, le Séneçon de Jacob et le Séneçon du Cap.

À fleurs jaunes, le Séneçon du cap est une espèce vivace envahissante originaire d’Afrique du Sud et importée en France dans des ballots de laine dans les années 1930. Elle s’adapte à tout type de milieu perturbé et l’altitude importe peu puisqu’il en a été retrouvé à 1 500 mètres d’altitude. D’une durée de vie de 5 à 10 ans, ses graines (plus de 1 000) sont produites par pied et perdurent plus de 5 ans. Elle a colonisé progressivement toute la France, en commençant par le midi et le sud-ouest puis en remontant vers le nord.