SCIENCE
Louis Pasteur, un scientifique au service de l’agriculture
À l’occasion du bicentenaire de sa naissance, retour sur les principales découvertes de Louis Pasteur au bénéfice de l’agriculture, mises en lumière par l’académicien Erik Orsenna.
Tout est parti d’un défi… À l’Académie française, alors qu’il occupe le fauteuil de l’illustre Louis Pasteur, son voisin, François Jacob, prix Nobel de médecine, challenge Erik Orsenna. « Me voyant accablé d’occuper ce fauteuil alors que je n’y connaissais rien en science, il m’a conseiller d’écrire sa biographie en tant que romancier », se souvient Erik Orsenna. L’académicien démarre alors son enquête sur Louis Pasteur qui donnera naissance à une biographie publiée en 1995.
À l’occasion du bicentenaire de la naissance de Pasteur, Erik Orsenna est revenu, dans le cadre du dernier Salon de l’agriculture, sur les découvertes fondamentales du scientifique au profit de l’agriculture. Pour lui, « Pasteur, c’est le Sherlock Holmes de la science. Il y a évidemment la rage, mais ce qui est peut-être le plus formidable, c’est que comme il est dépassé par le succès sur la rage, il crée l’Institut Pasteur. Ce qui me fascine, c’est que des dizaines d’années après, l’Institut Pasteur existe dans trente pays et compte cinq-mille chercheurs ».
De la chimie à la théorie des germes
Dès l’âge de 25 ans, Louis Pasteur, chimiste de formation, se plonge dans la recherche. Il étudie tout d’abord la polarisation de la lumière par les cristaux et la dissymétrie des molécules, à l’origine d’une nouvelle science, la stéréochimie. Avant de s’attaquer aux maladies humaines, Louis Pasteur investit le champ de l’industrie et de l’agriculture. La théorie de la génération spontanée est alors fortement ancrée dans les milieux scientifiques. Notion aristotélicienne tombée en désuétude, cette théorie supposait l’apparition, sans ascendants, d’êtres vivants à partir de la matière inanimée. Pasteur la bat en brèche en démontrant que, lorsque l’air et le milieu sont réellement débarrassés de tous leurs germes, même sans chauffage mais en employant les fameux ballons à ouverture étirée en « col-de-cygne », le contact de l’air purifié avec une solution organique putrescible n’entraîne aucune production de microbes. Il suffit en revanche que l’air ordinaire entre en contact avec la solution pour que les germes prolifèrent. Louis Pasteur prouve ainsi que les microbes sont partout, dans l’eau, dans l’air, sur les objets, sur la peau… et que certains d’entre eux sont responsables de maladies.
Dès lors, il indique les moyens de les éviter et de les combattre. Il définit les bases de l’hygiène personnelle et sociale. Il préconise l’usage de l’asepsie, c’est-à-dire l’ensemble des mesures propres à empêcher tout apport exogène de micro-organismes ou de virus sur des tissus vivants ou des milieux inertes. Il conseille la stérilisation des linges, le flambage des instruments, la propreté des mains. Des recommandations à l’origine du prodigieux essor de la chirurgie moderne. Il travaille ensuite sur le processus de la fermentation dans lequel il explique le rôle des micro-organismes. En étudiant la fermentation butyrique, Louis Pasteur découvre une nouvelle classe d’êtres vivants capables de vivre à l’abri de l’air. Il propose le terme « d’anaérobie » pour le ferment qui a la propriété de vivre sans air et le terme « d’aérobie » pour les micro-organismes qui exigent la présence de l’oxygène libre pour se développer. Dès lors, il applique sa méthode microbiologique à l’industrie et à l’agriculture pour venir à bout des maladies séculaires qui touchent leurs produits.
À la rescousse de la production viticole
Il s’attaque ainsi à la viticulture, fleuron français altéré par des maladies dont on ignore la provenance et le remède. Une crise qui n’est pas nouvelle mais qui risque de nuire aux exportations et surtout aux accords commerciaux passés avec l’Angleterre. « Napoléon III en personne s’en remet à Louis Pasteur. Tout d’abord, il montre que chaque maladie du vin est due à un ferment particulier. Et pour lutter contre le développement de ces maladies, il met au point un protocole : il chauffe le vin entre 55 et 60 °C, température à laquelle il ne s’altère pas et conserve son bouquet. Cette méthode est aujourd’hui connue dans le monde entier : c’est la pasteurisation », raconte Erik Orsenna. Tout comme pour les maladies du vin, les altérations de la bière sont produites par des micro-organismes apportés par les poussières de l’air. Louis Pasteur enseigne aux brasseurs à préserver les moûts des souillures et à chauffer la bière à 55 °C pour prévenir les maladies.
La maladie des vers à soie
En 1865, la sériciculture est sinistrée par une maladie qui ravage les vers à soie : la pébrine et la flacherie. Au microscope, Louis Pasteur s’aperçoit que les vers atteints par la pébrine développent des corpuscules brillants. Il démontre par ailleurs que la pébrine est une maladie héréditaire et contagieuse. Quant à la flacherie, il met en évidence la notion de « terrain particulier », c’est-à-dire d’état physiologique de l’hôte infecté, pour que cette maladie se déclare. De simples précautions d’hygiène et une bonne aération ainsi que la mise en quarantaine des lots suspects suffiront à prévenir la contamination. Ces procédés, très simples, ont sauvé la sériciculture. Ces travaux, véritable prélude à l’étude des maladies contagieuses, présentent un intérêt considérable : pour la première fois, les problèmes de l’hérédité et de la contagion sont élucidés scientifiquement, et des règles de prophylaxie sont établies.
Charbon : la fin des « champs maudits »
Jusqu’aux travaux de Louis Pasteur, on incriminait les « champs maudits » à l’apparition de la maladie du charbon. Le premier signe était « une petite tache rouge accompagnée d’un prurit assez vif » sur la figure, le cou ou/et le bras. En 1878, le savant met en évidence le rôle de la bactérie dans la maladie charbonneuse. Il découvre que le germe est inoculé à la faveur de microlésions provoquées dans la bouche des moutons par des plantes piquantes comme le chardon. La bactérie, qui prospère dans le sang, les tissus ou la carcasse des bêtes infectées, pénètre dans l’organisme humain par des blessures ou des lésions sur les parties découvertes du corps. Sont d’abord touchés les individus en contact avec les dépouilles de bestiaux morts de la maladie : bergers, mégissiers, bouchers ou lainiers. Pasteur perce aussi le secret des fameux « champs maudits » : les carcasses des moutons morts du charbon y étaient enfouies. À partir des cadavres infectés, les vers de terre remontaient les spores de la bactérie qu’ils évacuaient à la surface du sol. Herbes et chardons contaminés étaient ensuite ingérés par les animaux… dont la rate se remplissait d’une bouillie noirâtre. D’où le nom de « charbon ». En mai 1881, près de Melun (Seine-et-Marne), Pasteur procéde avec succès au premier essai de vaccination sur les moutons et renouvelle l’expérience à Barjouville (Eure-et-Loir) le 18 juillet de la même année.