ÉCONOMIE
L’agritourisme, un échange entre le consommateur et le monde agricole

Si l’agritourisme permet de (re)créer du lien avec les consommateurs et est l’une des meilleures vitrines de l’agriculture, il est également un réel complément de revenus. Le point avec le président de Bienvenue à la Ferme et ceux qui ont choisi de se diversifier.

L’agritourisme, un échange entre le consommateur et le monde agricole
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Jean-Marie Lenfant est président délégué alimentation circuits courts au sein du réseau Bienvenue à la ferme. ©Maxime Henry

L’agritourisme est-il dynamique sur notre territoire et répond-t-il aux attentes des touristes actuels ?

Jean-Marie Lenfant : « La région Auvergne-Rhône-Alpes totalise 483 points “Mangez fermier”, où les aliments sont produits et vendus à la ferme, 185 hébergements et 153 fermes découvertes pédagogiques, soit plus de 660 adhérents. À titre de comparaison, la région Normandie en possède 400. Auvergne-Rhône-Alpes affiche une dynamique ancienne sur le sujet, puisque plus de 30 % d’agriculteurs pratiquent la vente en circuits courts. Les nombreuses AOP et leurs produits sont également des atouts qui tirent la région. Depuis la crise sanitaire, les Français ont découvert qu’ils pouvaient aller en vacances ailleurs qu’au Mont-Saint-Michel ou à Saint-Tropez. Nous avons donc la chance de pouvoir bénéficier de plus de visiteurs sur nos territoires et de développer davantage d’agritourisme. Dorénavant, faire du commerce, transformer des produits sont des envies qui correspondent à la nouvelle population de jeunes agriculteurs qui s’installent durant leur trentaine. Ils ont souvent un passé, une vie antérieure et ils se donnent moins de contraintes. »

Ce secteur d’activités comporte-t-il des contraintes ?

J-M L. : « Entre la loi montagne, la loi littorale et les zones Natura 2000, les réglementations peuvent être contraignantes. Un agriculteur qui possède une belle bergerie dans laquelle il n’est plus possible de mettre des bêtes, peut rencontrer des difficultés à obtenir les agréments nécessaires afin d’en faire un lieu d’hébergement. Même poser des tentes sur des planchers peut poser de réels problèmes vis-à-vis de la réglementation. A contrario, la vente de produits fermiers est plus facile, car elle ne nécessite pas de changer la destination du bien. »

Quelle image l’agritourisme apporte-t-il à l’agriculture ?

J-M L. : « Il y a trente-sept ans, aux prémices de Bienvenue à la ferme, si nous avions proposé aux touristes de passer une nuit dans une tiny house ou dans un tonneau, on nous aurait ri au nez. Aujourd’hui, ce sont des propositions qui fonctionnent. L’agritourisme permet un échange entre le consommateur et le monde agricole. La communication, c’est d’ailleurs la principale vertu du circuit court. Récemment, une agricultrice me racontait qu’elle avait montré aux touristes qui dormaient chez elle, comment elle réalisait un plan de fumure. Ils ont ainsi découvert que les agriculteurs calculaient beaucoup d’éléments. La preuve que nous sommes les meilleurs ambassadeurs et promoteurs de notre métier. Il y a quelques années, l’hébergement agritouristique était un petit plus. Aujourd’hui, il s’agit d’un métier exercé par des agriculteurs qui se sont spécialisés et professionnalisés. Lorsque nous regardons l’excédent brut d’exploitation (EBE) et le chiffre d’affaires d’une exploitation, la part liée à l’agritourisme et aux produits fermiers augmente de plus en plus. Les visites pédagogiques à la ferme sont aussi une opportunité. Je croise les doigts pour que, dans le prochain pacte et loi d’orientation et d’avenir agricoles (PLOA), soit voté le fait qu’un enfant visite au moins une fois une ferme durant l’école primaire. »

Quels conseils donneriez-vous aux agriculteurs qui souhaitent se lancer ?

J-M L. : « Ce qui fonctionne, c’est d’être accompagné et dynamique sur la communication, le marketing et la segmentation. Les consommateurs recherchent une facilité d’accès, c’est pour cela que certains agriculteurs qui font de l’hébergement publient leurs offres sur le site de Gîtes de France, Airbnb ou même Booking. Celui de Bienvenue à la ferme s’est d’ailleurs doté d’un bouton de réservation en ligne. Il est aussi possible de réfléchir à des forfaits comprenant une visite de la ferme, ou encore une réduction au bout d’un certain nombre de nuits passées. Faire de la relance sur les marchés, communiquer l’information aux clients, être sur différents canaux de réservation, sont des actes très importants. Enfin, l’avantage de faire partie d’un réseau, c’est justement de se mettre en avant les uns les autres et de devenir plus visibles, comme le fait d’assister aux bourses d’échanges de documentation touristique qui ont lieu dans chaque département et région. »

Propos recueillis par Léa Rochon

HÉBERGEMENT

« Nous sommes confrontés à un vide juridique »

Selon Hervé Roux, référent de la région Auvergne-Rhône-Alpes pour le réseau Bienvenue à la Ferme, « le nombre de fermes qui font de la vente directe et de l’accueil pédagogique sont en augmentation ». Cette hausse est néanmoins moins marquée pour les hébergements, puisqu’une législation freine le changement de destination d’un bâtiment agricole. Côté productions, le vin et l’élevage sont les secteurs qui attirent le plus les touristes. En Saône-et-Loire, la tendance est légèrement différente. Selon Paul Thomas, conseiller diversification et circuits courts à la chambre d’agriculture, « les viticulteurs étaient déjà présents sur ces offres-là bien avant la crise sanitaire ». Les sollicitations proviennent dorénavant des éleveurs laitiers et des maraîchers. « Depuis la Covid-19, le tourisme rural implique de nouvelles formes d’activités liées à l’exploitation agricole comme l’hébergement en gîtes, roulottes, tipis, ou encore en yourtes, indique le conseiller. Mais sur les zones agricoles, toute construction qui n’est pas liée à l’activité agricole est interdite. Nous sommes donc confrontés à un vide juridique, puisque même une yourte installée dans un pré nécessite une démarche auprès des services d’urbanisme, qui n’incluent pas l’agritourisme dans leurs textes. » Afin de ne pas être confrontés à ces démarches, certains agriculteurs misent sur l’offre de chambres d’hôtes installées au sein de l’habitation principale. Enfin, les visites à la ferme peuvent constituer une rémunération supplémentaire. « Les touristes en sont demandeurs, surtout lorsqu’il y a des animaux », analyse le professionnel. Dans ce cas de figure, la comptabilité du lieu avec les réglementations « établissement recevant du public, incendie et accessibilité aux personnes à mobilité réduite », est obligatoire.

Fermes-auberges, le défi de la double casquette
Depuis septembre 2023, Katherine Geraci gère la ferme-auberge de Cuzieu aux côtés de son mari et de sa fille à Arvière-en-Valromey (Ain). ©Katherine Geraci
DIVERSIFICATION

Fermes-auberges, le défi de la double casquette

Agriculteurs et restaurateurs, parfois même hébergeurs, ils ont volontiers choisi de lier agriculture et tourisme. Si les fermes auberges sont devenues de réelles vitrines du travail des agriculteurs et sont vectrices d’un nouvel apport financier, maintenir leur attractivité n’est pourtant pas toujours chose simple. Rencontre avec ceux qui produisent, accueillent et restaurent.

« Les gens aperçoivent depuis l’auberge les légumes qu’ils s’apprêtent à manger. » Le décor est planté. Katherine Geraci gère la ferme-auberge de Cuzieu aux côtés de son mari et de sa fille à Arvière-en-Valromey (Ain). Le couple accueille voyageurs, randonneurs, cyclistes et fins gourmets au coeur d’une exploitation de 80 hectares et 60 animaux : vaches allaitantes, quelques vaches laitières, des veaux ou encore des cochons, les gérants produisent la quasi-totalité des produits proposés directement dans leur auberge. Ces derniers cultivent également légumes et céréales. Un menu 100 % fermier est donc proposé aux clients et renouvelé chaque semaine. « Nous avons une carte avec deux propositions par jour, dont une végétarienne. Parfois les gens ne savent pas vraiment où ils mettent les pieds, ils pensent venir dans un restaurant classique… Mais lorsqu’on leur explique les raisons pour lesquelles nous ne pouvons pas leur proposer un plus vaste choix, ils sont ravis », explique Katherine Geraci. Ouverte depuis le 30 septembre 2023, l’auberge de Cuzieu cherche encore ses marques. « Nous avons eu une bonne fréquentation dès le début, mais les trois derniers mois ont été compliqués. Nous restons optimistes, et attendons la période juillet-août pour voir venir les touristes », espère la gérante.

Revaloriser sa production

Pour certains, la haute saison et ses touristes se font attendre, tandis que d’autres misent sur une fréquentation plus locale et la vente directe. C’est le cas d’Isabelle Bonnard, gérante de la ferme-auberge de La Poule Rousse à Doizieux (Loire). « Nous faisons en moyenne une centaine de couverts par semaine », explique l’agricultrice. Si elle accueille peu de touristes, la clientèle régionale semble, elle, assez régulière. « Nous nous trouvons entre Lyon et Saint-Étienne, j’accueille principalement des Lyonnais et des Stéphanois. Nous n’avons pas forcément besoin de faire de publicité pour attirer davantage de touristes, puisque la valorisation de nos produits en restauration et en transformation est déjà un excellent complément de revenus », assure Isabelle Bonnard. « Les clients du restaurant achètent également des produits de la ferme sur place », ajoute-t-elle. Pas d’ombre au tableau pour l’agricultrice qui assure un rythme soutenu, aux côtés de ses quatre associés. Depuis son ouverture en 2001, la crise sanitaire a été le seul passage compliqué, mais la ferme-auberge a repris de plus belle grâce à la clientèle locale. Pourtant, certains exploitants subissent encore les conséquences de cette crise, survenue en France fin 2019.

Une baisse de fréquentation parfois difficile

Si la crise sanitaire a parfois remis l’agriculture au centre des consciences, elle a également pu créer une défiance générale quant aux établissements d’accueil touristique. Luc Bauer, exploitant agricole et propriétaire de la ferme-auberge Salam en subit encore les retombées : un constat amer lorsqu’il se rappelle que 2019 avait été son année la plus florissante. « Ça n’a jamais repris comme avant et ça ne fait qu’empirer », se désole l’agriculteur. « Mon chiffre d’affaires est passé de 140 000 € par an (HT) à 90 000 € en 2023. Tous mes projets sont en attente depuis. » Luc Bauer évolue dans l’agriculture depuis son enfance et gère seul une exploitation en polyculture-élevage à Boulc (Drôme). L’auberge Salam, existante depuis dix ans, propose aujourd’hui une pension complète, 7 chambres pour une capacité de 17 personnes et des emplacements de camping-cars et bivouacs. Le gérant propose des stages et loisirs, activités fortement compromises depuis la crise sanitaire : « J’ai dû complètement revoir mon modèle agricole pour pouvoir me maintenir à flot, avec des cultures plus vivrières, de l’agroforesterie, de l’apiculture et l’arrêt de la production de brebis. Je mets aussi l’accent sur la vente directe ». Une crise économique qui l’éloigne peu à peu de sa clientèle historique : des citadins issus de la classe moyenne, cherchant à s’éloigner de la ville pour se ressourcer.

Charlotte Bayon

Le camping à la ferme : un prolongement de l’activité agricole
Séjourner dans un camping à la ferme permet aux visiteurs de (re)découvrir le quotidien des agriculteurs hôtes. ©Julien Issartel
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Le camping à la ferme : un prolongement de l’activité agricole

Quand certains camping-caristes recherchent le calme et la pleine nature, des agriculteurs, eux, en ont à revendre. C’est au coeur des campings à la ferme que ces derniers se rencontrent. L’occasion pour les uns de passer un séjour simple et convivial, pour les autres, de faire (re)découvrir leurs métiers.

C’est loin du tumulte de la ville, à Saint-Georges-d’Aurac (Haute-Loire), que la ferme-camping Les Baies Sauvages accueille des voyageurs au coeur de son exploitation de vaches laitières. Pour Julien Issartel, agriculteur, c’est le moyen de valoriser une partie de son terrain et de partager sa passion avec les visiteurs.

Une réglementation stricte

« Notre camping est ouvert depuis 1994, nous avons pris la suite familiale. C’est un beau terrain prévu à cet effet, les locaux sont payés, nous n’avons plus d’investissement à faire », explique t-il. Un camping de six emplacements, dont une caravane à louer, le reste des places étant destiné aux vans et aux camping-cars. « C’est la réglementation du camping à la ferme qui détermine le nombre d’emplacements que l’on a le droit de mettre à disposition », précise l’agriculteur. En effet, la loi régit de manière stricte l’exploitation de terrain agricole à vocation touristique : aussi appelé « terrain déclaré », le camping à la ferme (terme non réglementaire) est un terrain aménagé sur une exploitation agricole en activité, à proximité immédiate de l’habitation de l’exploitant. Ce dernier doit s’assurer que les règles et documents d’urbanisme permettent l’installation d’une telle infrastructure. Selon l’espace dont dispose l’agriculteur, le nombre d’emplacements est limité à six, soit vingt personnes au maximum. Avec presque cent hectares à son actif, Julien Issartel bénéficie donc de l’autorisation de proposer ces six emplacements, à côté desquels il a fait installer des sanitaires (lavabos, douches, toilettes). « Nous avons également une grande salle à disposition des visiteurs, pour qu’ils puissent manger à l’abri ou jouer avec leurs enfants », explique-t-il. Un avantage pour les clients, qui n’est cependant pas obligatoire à mettre en place pour l’hôte.

Moins de touristes, mais plus de visiteurs

« La fréquentation des campings à la ferme a beaucoup baissé dans les années 2000, au profit des grands campings publics, avec des toboggans, des piscines… Mais on a remarqué qu’après la crise sanitaire, les campings fermiers ont connu un certain regain. Les gens souhaitaient se ressourcer dans de grands espaces, au plus proche de la nature », constate l’agriculteur. Son exploitation compte actuellement 40 vaches laitières et une vingtaine de vaches allaitantes, un cadre simple qui séduit une certaine catégorie de personnes. Si la majorité des visiteurs ont plus de 50 ans, le camping voit également séjourner de jeunes familles, mais très peu d’étrangers. « Avant on voyait beaucoup de touristes étrangers, notamment hollandais. Désormais ce n’est plus le cas, mais on a beaucoup de nuitées de passage », explique Julien Issartel. Le camping se trouve en zone montagneuse, propice aux randonnées, mais également à proximité de l’Allier et ses sports aquatiques, ou des villes de Brioude et du Puy-en-Velay. « C’est un avantage, les gens visitent les musées, les châteaux aux alentours, puis s’éloignent de la ville pour passer la nuit dans notre camping. Certains tombent sur nos panneaux dressés en bord de route et s’arrêtent », ajoute le propriétaire. Un complément de revenu certes modeste, mais important pour l’agriculteur. « Nous aimons beaucoup le contact avec les gens, c’est toujours un plaisir de discuter, faire connaissance et de faire découvrir nos métiers », conclut-il.

Charlotte Bayon

L’AGRITOURISME EN CHIFFRES /

Bienvenue à la ferme en 2022 :

8 000 : nombre d’adhérents en France dont :

  • 58 % de femmes
  • 42 % d’hommes
  • 63 % issus de familles d’agriculteurs
  • 37 % non issus du milieu agricole.

58 % de producteurs sont sous signe officiel de qualité et/ou de certification, dont :

  • 30 % en bio
  • 28 % AOP/AOC/IGP
  • 15 % en haute valeur environnementale (HVE)
  • 20 % ayant l’intention de se labelliser.

70 % de producteurs du réseau transforment leurs productions directement à la ferme.

Principaux canaux de commercialisation : (en % d’adhérents)

97 % en vente à la ferme

78 % dans les commerces locaux (commerçant détaillant + point de vente collectif + autres magasins de producteurs + GMS)

68 % en restauration (restaurants + restauration collective)

67 % sur des marchés

46 % en commerce en ligne (drive fermier + E-commerce)

9 % en casiers automatiques.

2 : nombre d’emplois temps plein par ferme consacrés aux activités Bienvenue à la ferme.

47 % : part du chiffre d’affaires total de l’exploitation généré par les activités Bienvenue à la ferme.

75 % : pourcentage du chiffre d’affaires total réalisé par les activités Bienvenue à la ferme pour 29 % des adhérents.

Plus d’1/3 : part des adhérents qui veulent développer plus encore leur activité de diversification dans les cinq prochaines années.

Gîtes de France (en 2023)

1er réseau en Europe d’hébergement chez l’habitant.

3e marque de tourisme la plus connue des Français.

42 000 : nombre de propriétaires.

55 000 : nombre d’hébergements (gîtes, chambres d’hôtes, gîtes de groupe, gîtes d’enfants, gîtes d’étapes, campings & chalets).

4 millions : nombre de vacanciers par an.

5,2 millions : nombre de nuitées par an.

1,1 milliard d’euros : chiffre d’affaires direct et indirect.

97 % : part d’avis clients positifs.

550 : nombre de collaborateurs répartis dans les 92 agences départementales.

24,3 millions d’euros : somme reversée aux communes françaises au titre de la taxe de séjour, un résultat en progression de 13,5 %.

Source : Bienvenue à la ferme et Gîtes de France