Entre importation de pays tiers, pas toujours limpide concernant l’origine du miel et la tentation d’adultération concernant la composition, la fraude va bon train. Deuxième et dernière partie consacrée au miel et à la fraude.
« Les faux miels issus des usines de Chine entre autres, déstabilisent le marché mondial, en faisant baisser les prix et en créant une situation de perpétuelle surproduction. Dans le marché mondialisé dans lequel nous sommes, nous sommes touchés, c’est pourquoi nous n’arrivons plus à vendre », analyse Patrick Molle, apiculteur et responsable des ventes de la coopérative Provence miel à La Roque-d’Anthéron (13).
Face à l’ampleur de la fraude, de nombreux apiculteurs se sentent démunis. Élodie Leullier, qui a fondé avec son mari Nicolas Leullier, les Ruchers de l’Ibie, à Lagorce, fait part de son exaspération :
« Depuis que nous sommes installés, on se rend bien compte que nous sommes face à une concurrence déloyale de plus en plus présente, avec des négociants en miel qui jouent avec les informations sur leurs étiquettes surfant sur l’image des producteurs, de la localité et sur la réputation des miels d’Ardèche. »
Face au risque économique, quelles solutions ?
Élodie et Nicolas Leullier ont fait le choix d’un développement culturel en lien direct avec l’exploitation. « Les consommateurs sont étonnés des heures de travail nécessaire pour produire du miel », précise l’Ardéchoise.
Les apiculteurs des Ruchers de l’Ibie souhaitent faire découvrir les coulisses de leur métier, « car face au problème des fraudes mais aussi du dérèglement climatique et l’arrivée de nombreux prédateurs, nous sommes obligés de nous réinventer et de trouver des solutions pour écouler nos productions au juste prix. Cela passe chez nous, par l’augmentation de la vente directe sur l’exploitation. » Une autre stratégie pour les apiculteurs face à la fraude, est celle d’intégrer des marques reconnues localement et qui ont un cahier des charges rigoureux et de le notifier sur les étiquettes.
« Nous avons, depuis 2012, intégré la marque Goûtez l’Ardèche, qui opère des analyses régulières auprès d’un jury, ainsi que des audits sur l’exploitation. Nous avons intégré le réseau Bienvenue à la Ferme car c’est un réseau d’agricultrices et d’agriculteurs qui comme nous, prônent une agriculture durable, responsable, avec des valeurs d’exigences constantes de leurs produits et d’accueil à la ferme. Ces marques, sont à mettre en valeur, car cela garantit aux consommateurs les qualités et valeurs des agricultrices et agriculteurs du territoire », continue Élodie Leullier.
Les étiquettes sont à double face, d’un côté, elles peuvent protéger les producteurs et clients en certifiant le produit, mais mal employées ou galvaudées, elles peuvent induire en erreur le consommateur.
Comment le consommateur peut-il s’y retrouver ?
« Nous avons développé un site culturel autour de l’abeille et du miel pour faire découvrir le miel de l’Ardèche, mais aussi pour alerter et sensibiliser les consommateurs concernant leurs achats. Quand on achète du miel, il faut aller à l’adresse physique et demander à voir l’outil de production », conseille l’apicultrice. Thomas Colléaux, agent du service de santé, protection animale et environnement à la DGCCRF et Charlotte Piron-Cabaret, insistent : « Il faut que le consommateur regarde s’il existe qu’une seule origine au miel et s’il est de France. Le miel de différentes origines peut être une porte ouverte pour suspecter une fraude. »
Pour Claudine Guinet, la responsable du laboratoire Naturalim, il est inutile de boycotter la grande distribution pour l’achat de miel. « On peut faire confiance aux miels estampillés d’origine française. »
L’autre signal d’alerte pour le consommateur est le prix : « En dessous de 11 euros le kilo, on peut s’interroger sur sa provenance », note Thibault Mercier, vice-président de l’Association pour le développement de l’apiculture (ADA AURA).
Pour aider les consommateurs, l’ADA AURA a mis en ligne fin décembre, un site qui répertorie les producteurs de miel de la région. « C’est un site pour rassurer les consommateurs sur l’origine du miel et vérifier les engagements des producteurs », 1 indique Adèle Bizieux, directrice de l’association.
Fraude ou maladresse ?
Le fil est mince entre la fraude ou la maladresse. Et pour complexifier le tout, s’ajoute un réseau d’apiculteurs amateurs pas toujours au courant des législations et des normes. Les garants du contrôle ainsi que les apiculteurs ont parfois eux-mêmes du mal à s’y retrouver entre simple maladresse ou fraude intentionnelle. « Un apiculteur qui a mis ses ruches à proximité de champs de lavande et dont la composition n’est pas entièrement du miel de lavande, car les abeilles sont allées butiner ailleurs, ce n’est pas une fraude délibérée », indique Charlotte Piron-Cabaret.
Au-delà de l’étiquette, les services de contrôles ont également du mal à distinguer la fraude à la composition : « En période de disette, les apiculteurs peuvent être emmenés à nourrir les ruches avec de l’eau et du sucre, et l’on en retrouve des traces dans les analyses, ce n’est pas une volonté de fraude », témoigne Emmanuel Rey, apiculteur du Gaec l’Abeille Turquoise à Lamazière-Basse et ancien président du Syndicat des apiculteurs professionnels de la région. « Il y a un travail à faire de la part de la profession pour avoir des seuils d’utilisation de sirops. »
Un autre point que tient à souligner l’apiculteur, est le rôle joué par les négociants concernant l’opacité de l’origine du miel : « Les négociants en miel font des mélanges, ce n’est pas interdit, ni de la fraude, mais il y a une volonté de masquer le processus d’étiquetage. Les personnes qui font du négoce ont de grosses capacités de vente. Cela ramène de la confusion dans la traçabilité. Parfois, les négociants se font passer pour des producteurs. »
Avec le nouveau texte de loi voté par les eurodéputés fin décembre, qui engage les négociateurs à rendre obligatoire la mention de l’origine du pays, gageons, que la confusion sur l’origine aura une fin sous peu, bien que le manque de moyens pour effectuer les contrôles et les analyses soit souligné par InterApi, l’interprofession apicole. « Les méthodes d’analyse au niveau européen pour repérer l’adultération des miels ne sont pas totalement efficaces comme le souligne le rapport de mars 2023 de la Commission européenne », peut-on lire du côté de l’interprofession. « Les acteurs de la filière apicole française constatent et déplorent le manque de moyens des services de la DGCCRF pour contrôler le marché français. » Malgré le manque de moyens, les apiculteurs appellent de leurs vœux une augmentation des contrôles au niveau européen et français. « Les méthodes de fraude progressent et s’adaptent aussi aux analyses », interpelle Adèle Bizieux.
Début février, de nombreux apiculteurs ont manifesté à Lyon, dénonçant entre autres, l’import de miels frauduleux.
Marine Martin
Des formations pour être mieux armé
En fin d’année 2024, l’association ADA AURA organisera une formation « étiquettes » à destination des apiculteurs pour leur apprendre à mieux manipuler les codes de l’étiquetage et mettre en avant leur produit.