EQUIN
Chevaux de trait : le Comtois, star des élevages ardéchois
La fête du cheval de trait est pour bientôt ! L’occasion de se pencher sur le cheval Comtois et de donner la parole aux quelques éleveurs encore présents en Ardèche concernant leur vision de la filière et de l’élevage.
Fut un temps que les moins de 20 ans ou même moins de 40 ans ne peuvent pas connaître… Celui ou le débardage et le labour s’effectuait en symbiose, avec le cheval. Le cheval de trait favori en Ardèche pour les travaux des champs et des forêts, est sans contexte le Comtois, selon les éleveurs de cette race, dont le berceau se situe en Franche-Comté.
Bien qu’au fur et à mesure, le cheval fut délaissé au profit de la machine, quelques irréductibles ont continué, par passion à élever ces chevaux.
Paul Degrand est éleveur, installé sur la commune d’Ailhon. Sa passion, il la tient de son père : « Mon papa était déjà débardeur avec les chevaux, j’ai appris avec lui et j’ai continué. J’ai débardé pendant 40 ans : 20 ans avec les chevaux et 20 avec les tracteurs. »
Le cheval, une fierté pour le monde paysan et un allié au travail
« Autrefois, les bûcherons écorçaient le bois sur place, ce qui le rendait glissant et facile à transporter par les chevaux. Ensuite, ils ont arrêté cette pratique. Le bois ne séchait plus, il fallait le sortir rapidement, nécessitant l'utilisation de tracteurs. Même si les chevaux coûtaient moins cher et causaient moins de dégâts au bois ! », affirme-t-il. « J’ai gagné de l’argent avec les chevaux peut être plus qu’avec les tracteurs », s'esclaffe l’éleveur.
Avec un faible impact sur le tassement des sols, l’hippo-débardage est idéal pour intervenir en forêt à haute valeur écologique. Le cheval de trait retrouve aujourd’hui ses titres de noblesse dans le milieu du bûcheronnage, sur les chantiers à forte valeur ajoutée.
Pour Paul Degrand, quand l’heure est venue de remiser les chevaux et de faire appel aux tracteurs, il s’est lancé à côté de son activité, dans l’élevage. « J’ai pris des Comtois, car ils sont de nature docile et s’adaptent bien dans le pays, alors que les Percherons par exemple, sont plus lourds et moins agiles ». Aujourd’hui, il possède quatre juments et un étalon, qu’il monte avec son fils Damien, en estive du côté de Sainte-Eulalie. « Le Comtois est moins sensible au parasitisme que d'autres races et moins rigoureux en termes d'alimentation », précise de son côté, Julien Rivière, président du syndicat des chevaux de trait d'Ardèche et lui-même éleveur. « C’est la race la plus répandue sur le territoire, c'est aussi plus facile de s’échanger les étalons », complète-t-il.
Denis Dumas, quant à lui, possède aujourd’hui une trentaine de chevaux : « Au départ en Ardèche, les Comtois étaient croisés Breton, une race alourdit pour la viande. Avant, les Haras nous emmenaient les étalons, car nous n'en avions pas en Ardèche, puis on nous a supprimé les étalons Breton. Le Comtois est devenu une race pure en Ardèche aux alentours des années 1995. C'est un cheval plus léger que le Breton ». « C'est d'abord un cheval pour le travail. Après la Seconde Guerre mondiale, le cheval a été remplacé peu à peu par le tracteur du coup, on a alourdi les races pour la viande, la France est le pays où il y a la plus grande diversité de races de chevaux de trait », détaille Julien Rivière. De nos jours, on recherche une race « modèle et allure, un cheval très plaisant et passe-partout », distingue Denis Dumas.
À chaque éleveur, son domaine favori:
« Le dressage, c’était mon truc. Quand il nous manquait des pouliches, j'allais en acheter dans les foires, pour les dresser et les revendre. Je les vendais pour le débardage, la calèche ou le maraîchage », relate Paul Degrand, avant de se lancer dans le détail : « Il faut d'abord faire accepter le licol aux pouliches, puis on les attache quand elles sont habituées. On y va étape par étape : on met le collier, les traits pour tracter la charrue ou le bois. Puis, on fait toucher les chaînes sur les jambes, sans les brusquer. Ensuite, on commence à les promener : le collier sur le cou et les chaînes sur le dos, une demi-heure le premier jour, trois quarts d’heure le jour suivant, etc. Je mets ensuite le palonnier par terre pour entendre le bruit et les habituer et j’attache un morceau de bois. Dans un premier temps on avance tout droit, puis on tourne. En 3 semaines ou un mois, j’arrivais à les mettre à la charrue ». Désormais, son fils, à qui il a transmis la passion, a repris le flambeau :« Il ne fait pas d’attelage, ni de dressage, son truc à lui, c’est l’élevage : faire naître les poulains ».
À l'instar de Denis Dumas qui aime « travailler sur les souches et améliorer la race » et qui s'adonne aux concours. « Les critères les plus importants lors d’un concours sont la robe, l’allure et comment le cheval se présente », ajoute Michel Bonnefoi autre éleveur emblématique ardéchois adepte des concours locaux en son temps.
Julien Rivière, lui apprécie le poulinage, mais aussi le dressage qui lui permet de nouer une relation de confiance. « C'est un animal grégaire, il a besoin d'un meneur. Notre position debout, est une posture d'attaque. L'objectif est de gagner sa confiance par le mental, pas par la force. Finalement, on forme un centaure. Nous le cerveau, lui les jambes. » Pour l'éleveur de Vesseaux, la qualité primordiale qu'il recherche chez le cheval Comtois est sa capacité de travail et sa robustesse.
La passion, condition Sine qua non pour élever des chevaux.
Car l'élevage n’est pas un long fleuve tranquille et les années s’enchaînent avec leur lot de difficultés « ce n’est pas tout gagné, parfois il y a des accidents » confie à demi-mot, Michel Bonnefoi, éleveur depuis plus de 30 ans, faisant allusion à la perte de poulains intrinsèquement lié à l’élevage. Pour gagner sa vie, Michel Bonnefoi travaillait à Privas à l’hôpital Sainte-Marie. Le reste du temps, il le passe avec ses chevaux « quand on aime, on ne compte pas », raconte-t-il, même s’il regrette que sa passion ne soit pas rentable. Aujourd’hui, ses 5 juments sont montées en estive, sur le plateau ardéchois. Son fils Aurélien Bonnefoi, reprend l’héritage de son père, bien que le poids des doubles journées saisonnières lié à l’élevage de chevaux se fasse ressentir.
Pour Denis Dumas, sans la passion, il est très difficile de dresser et de contenir un étalon : « Ce n’est pas donné à tout le monde, il faut emmener l’étalon à la saillie tous les deux jours en période, alors, il ne faut pas se louper dès le début pour le dressage, il faut avoir la main et du caractère. Le Comtois est intelligent : il voit si vous êtes faibles ou si vous êtes maître ». L'élevage de chevaux , une histoire de passion, de résilience, mais aussi d'hommes et de transmission.
Marine Martin
Comment se porte la filière ?
« Il y a peu d’éleveurs en Ardèche, il en manque », déplore Denis Dumas, éleveur. « Il faudrait un renouvellement des générations. »
Concernant le volet économique, Julien Rivière, président du syndicat des chevaux de trait Ardèche, constate : « La filière ne s’est jamais portée aussi bien : on stagne un peu, mais nous étions descendus très bas, personne ne voulait de chevaux. Désormais, le marché asiatique compense le manque de thon par la viande de cheval, donc les prix se sont envolés en 4, 5 ans, car nous n’avions pas assez à fournir ». Denis Dumas ajoute : « 90 à 95 % de la filière partent à la viande, le cheval de travail ne représente que 5 %, ». Mais cela n’a pas suffi pour redynamiser la filière : « Puisque le marché de la viande s’était effondré, les parents n’ont pas voulu motiver leurs enfants, à reprendre l’élevage, même si c’est reparti depuis trois, quatre ans. Puis, une jument de trait mange comme deux vaches, donc peut-être que les jeunes sont moins motivés », suppute-t-il.
Pourtant, l’animal est complémentaire avec d’autres élevages : « C’est une bête qui passe très bien avec les bovins, ils se complètent ». Sur ses trois enfants, un seul a contracté le virus de l’élevage. Désormais, c’est ensemble qu’ils sillonnent la France pour les concours.
Pour Julien Rivière, qui loue ses services avec un cheval aux agriculteurs ou pour des promenades en calèche, l’espoir vient du renouvellement des générations. Bien que certaines sections de chevaux de trait s’essoufflent, faute de relève, « Il y a un gros turnover générationnel chez les vignerons. Le cheval est une alternative aux produits phytosanitaires ». De là à dire que le cheval de trait Comtois aura bientôt le vent en poupe, il n’y a qu’un sabot.
Fête du cheval de trait, le 11 août à Mirabel !
Avec une vingtaine d’adhérents, le syndicat des chevaux de trait d’Ardèche, sous la houlette de la FDSEA, est présidé depuis 2020 par Julien Rivière, éleveur de chevaux comtois. La fête annuelle qui inclut le concours départemental de chevaux de trait a un double objectif : celui de faire mieux connaître la filière au grand public, mais aussi pourquoi pas de susciter des vocations d’éleveurs.
Pour plus d’infos, voir notre page Agenda !