ARBORICULTURE
Drosophila suzukii : les micro-guêpes Ganaspis porteuses d’espoir
C’est sur les hauteurs de Vesseaux, le 10 septembre dernier, entre les vergers de cerisiers, qu’a eu lieu le second lâcher de Ganaspis Kimorum sur le département, cette micro-guêpe capable de lutter contre Drosophila suzukii, fléau des cerises et petits fruits.
Confortablement installées dans leur flacon, quelques micro-guêpes Ganaspis s’attardent avant de prendre leur envol sur les ronciers à proximité de vergers de cerisiers. Patience et délicatesse sont les maîtres-mots qu’appliquent à la lettre l’ingénieur de recherche de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), Adrien Le Navenant, et Mélanie Huguet, technicienne, venus exprès de Sophia Antipolis, pour lâcher ces insectes, plus habitués au laboratoire confiné qu’au grand air. Elles portent en elles de grands espoirs, ceux de toute une filière. La responsabilité sur leurs frêles ailes est énorme.
Toute une filière impactée
La production de cerises, ancestrale en Ardèche, témoigne de la diversité des exploitations et de la richesse du département. « Peu d’exploitations sont 100 % cerise ou petits fruits, mais cette production est essentielle, car elle constitue un apport financier précoce dans la saison », explique Christel Cesana, arboricultrice et 1ère vice-présidente de la chambre d’agriculture de l’Ardèche. Par ailleurs, les vergers valorisent des sols et reliefs où il « serait très difficile d’envisager d’autres cultures. De plus, le cerisier n’est pas gourmand en eau, il est rustique », ajoute-t-elle.
Au-delà de l’aspect économique indéniable, « la cerise fait aussi partie intégrante du patrimoine ardéchois », rappelle Lucia Latre, cheffe du service économie et filières à la chambre d’agriculture de l’Ardèche. Ainsi, lorsque la mouche Drosophila suzukii est arrivée d’Asie du Sud-Est en 2008, ce sont les 800 hectares de cerisiers et les 400 hectares de myrtilles qui s’en sont trouvés menacés. La mouche — dont le mâle est reconnaissable à ses points noirs sur les ailes — colonise, principalement par ses œufs et larves, les fruits rouges et sucrés, cerises et petits fruits en tête. Elle s’est implantée, année après année, en Europe et aux États-Unis, provoquant d’énormes dégâts du nord au sud de l’Ardèche. « De 2008 à 2012, on constatait les dégâts, mais on ne savait pas ce que c’était », se remémore Christel Cesana.
Avec l’interdiction du diméthoate, sa prolifération est difficile à contenir, au point que les récoltes sont parfois touchées jusqu’à 100 %. Le tri devient alors impossible et non rentable. « Au-dessus de 15 à 20 % de dégâts, on arrête de ramasser, il faut parfois un trieur pour quatre ramasseurs », témoigne l’arboricultrice. « Le fléau est tel qu’à ce jour, elle n’avait pas de prédateur. » Une lutte prophylactique a été engagée, car tous les départements français et plusieurs pays européens sont concernés. Plusieurs pistes sont aujourd’hui étudiées avec plus ou moins de succès. Parmi elles, une micro-guêpe appelée Ganaspis kimorum suscite de grands espoirs.
Ganaspis, petits insectes mais grands espoirs
Le département, fort d’une expérience concluante en partenariat avec l’Inrae sur le cynips du châtaignier et son ennemi naturel, Torymus sinensis, espère un même scénario pour les cerisiers et petits fruits. L’Ardèche fait partie des départements pilotes pour la mise en place de l’expérimentation des lâchers de Ganaspis, micro-guêpes provenant de la même région du monde que Drosophila suzukii et qui la régule déjà dans leur environnement naturel en Asie. Son super-pouvoir ? Être spécialiste de cette mouche, sans causer de dommages aux autres espèces d’insectes. Son mode opératoire ? Elle va déposer un œuf dans une larve de Drosophila suzukii, installée dans les fruits. Cet œuf, se développera ensuite aux dépens de la larve de Drosophila. Ainsi, à la place d’une mouche, c’est un parasitoïde Ganaspis qui émergera. « L’objectif est que la population globale de Drosophila suzukii chute et qu’il y ait une autorégulation entre les populations de Drosophila et de Ganaspis, ce qui causera moins de dommages aux fruits », énonce Adrien Le Navenant.
À Désaignes, un premier lâcher de Ganaspis a eu lieu en mai dernier et un second en septembre. La commune de Vesseaux a également fait l’objet d’un premier lâcher de Ganaspis au 10 septembre. Il est préférable d’effectuer ces lâchers lorsque la nature est à son apogée, au printemps et à la fin de l’été, afin de maximiser les chances d’implantation du Ganaspis.
Suivi de population par la collecte
La chambre d’agriculture de l’Ardèche, partenaire du projet, propose des sites de lâcher à l’Inrae, guidée selon des critères précis : « À proximité des vergers, sur des lieux ombragés, avec des plantes hôtes, véritables réservoirs à Drosophiles et des essences appréciées comme les ronces, les fraises des bois ou les pruniers sauvages », détaille Hélina Deplaude, conseillère spécialisée en arboriculture à la chambre d’agriculture. De plus, les traitements phytosanitaires doivent être inexistants ou limités, avec au moins quelques rangées non traitées à proximité des parcelles. C’est donc toute une filière qui s’investit pour réduire la population de Drosophila et préserver une production qui fait la fierté des Ardéchois.
Des prélèvements de fruits sont effectués au printemps et à l’automne pour suivre l’émergence des insectes. La chambre d’agriculture participe aux lâchers de Ganaspis et réalise les prélèvements, qu’elle suit dans ses locaux pour observer l’émergence. « L’objectif est d’identifier les meilleures conditions d’acclimatation du Ganaspis. Lorsque nous collecterons des fruits sur les sites de lâchers au printemps prochain, nous espérons constater l’émergence du Ganaspis, afin de savoir s’il a survécu à l’hiver et aux prédateurs, et s’il est capable de s’implanter et de se diffuser », espère Lucia Latre.
À l’échelle mondiale, les pays confrontés au fléau de la Drosophila suzukii semblent être à un stade d’expérimentation similaire, avec un décalage d’une ou deux années. Seul hic : les Ganaspis sont très difficiles à élever en laboratoire, et chaque lâcher nécessite au moins une centaine de spécimens pour maximiser les chances de diffusion. En Ardèche, on espère que d’autres sites se joindront d’ici 2025 pour étendre ces lâchers. Si les résultats sont concluants, des entreprises pourront s’emparer de cette solution afin de la déployer à plus grande échelle.
Marine Martin
La chambre d'agriculture à votre écoute !
Pour plus d’informations, n’hésitez pas à contacter Paul Sicot et Sophie Buléon, conseillers en arboriculture de la chambre d’agriculture d’Ardèche au 04 75 20 28 00.
Groupe 30 000
Bien que la piste du Ganaspis suscite de grands espoirs, il faudra attendre quelques années avant d’en voir les premiers résultats. D’ici là, une dizaine de producteurs de la Vallée du Doux se sont regroupés pour former le groupe 30 000. Leur objectif est de réunir toutes les alternatives et moyens de lutte disponible (piégeage massif, argile, insectes stériles, filets anti-insectes…) afin de préserver la filière dès maintenant. « Ce serait regrettable qu’au moment de l’homologation du Ganaspis, il n’y ait plus de vergers à protéger », souligne Lucia Latre.