RENCONTRE
Gaec de Montlahuc : terreau d’expérimentation face au changement climatique

Depuis plus d’une dizaine d’années, le Gaec de Montlahuc s’est lancé dans une transition vers une agriculture permacole. Face au réchauffement climatique, ses associés expérimentent, entre autres, le concept d’hydrologie régénérative en s’appuyant sur les techniques du Keyline Design. Explications avec Marc-Antoine Forconi, l’un des six agriculteurs du Gaec.

Gaec de Montlahuc : terreau d’expérimentation face au changement climatique
Au pied de la montagne, en amont des bâtiments agricoles du Gaec de Montlahuc, se trouve l’une des parcelles aménagées selon les principes du Keyline design. ©S.S.-AD26

À Bellegarde-en-Diois, entre Diois et Baronnies provençales, le Gaec de Montlahuc1 est l’exemple même d’une exploitation d’élevage en zone de montagne sèche qui subit depuis plusieurs années les effet du réchauffement planétaire. Mais c’est aussi un vaste terrain d’expérimentation sur l’adaptation au changement climatique. Marc-Antoine Forconi, dit Marco, est l’un des artisans de ce projet. C’est en 2012, à l’occasion de son mémoire de fin d’étude d’ingénieur en agroécologie, qu’il découvre cette exploitation. Deux ans plus tard, il en devient associé. « À mon arrivée, le Gaec était en crise. Les trois associés de l’époque ne partageaient plus la même vision », résume-t-il. L’exploitation était alors spécialisée en élevage ovin. Les associés avaient réalisé au fil des années un gros travail sur la génétique et adhéré à l’organisme de sélection de la race Préalpes du Sud… En 2013, Marc-Antoine Forconi démarre son parcours de pré-installation. Le Gaec compte encore 650 brebis mais a connu des effectifs beaucoup plus importants. « On était à deux agnelages par an. Les associés passaient beaucoup de temps sur le tracteur pour produire le foin nécessaire car les bêtes restaient en bâtiment plusieurs mois de l’année », décrit le jeune agriculteur. L’exploitation a beau réunir un peu plus de 1 000 ha de surfaces, seulement 55 ha sont mécanisables. Le reste offre des ressources aléatoires entre parcours, forêts et falaises…

Transition accélérée

Membre de l’association École pratique de la nature et des savoirs (EPNS), Marc-Antoine Forconi s’interroge sur la pertinence du système. Son idée : faire du Gaec de Montlahuc un site expérimental de la transition permacole. Dès 2013, le retour du loup va accélérer cette transition. « Cette année-là, le troupeau a subi 18 attaques sur la saison », souligne l’éleveur. Le modèle précédent, avec des parcs d’une trentaine d’hectares sans garde du troupeau, ne pouvait plus tenir dans un contexte de prédation. La logique d’un système associant différentes espèces animales, dont des espèces moins « sensibles » à la présence du loup, s’impose alors. « C’était aussi un moyen de rompre un certain déséquilibre au niveau de l’écosystème. Un gros troupeau d’une seule espèce durant 30 ans, c’est un peu comme une monoculture, avec notamment des problèmes parasitaires », résume Marc-Antoine Forconi.

Au fil des années, de nouveaux associés rejoignent l’aventure. « Il fallait trouver les bonnes personnes pour s’installer ici, qui aient conscience de la réalité de vivre à 40 minutes de voiture de Die, et qui mettraient en place de nouveaux ateliers avant tout par passion », poursuit le jeune agriculteur.

Six associés, quatre troupeaux

Aujourd’hui, le Gaec de Montlahuc compte six associés et plusieurs troupeaux : 350 brebis, 45 vaches de race galloway, une quarantaine de chèvres avec transformation fromagère et une quinzaine de chevaux. La totalité des productions est valorisée en vente directe, à 80 % sur place. Grâce à l’abattoir de Die, les associés produisent 3,5 tonnes de viande par an commercialisées en caissettes (chevreau, agneau, bœuf), merguez, saucisses… Ils vendent également des taureaux reproducteurs, proposent des ballades et cours d’équitation, de l’élevage et du dressage de chevaux de trait. En associant ces différentes espèces animales, le Gaec a apporté une réponse efficace à la gestion du parasitisme. Rotation des troupeaux sur les parcelles, semis d’espèces végétales qui présentent un intérêt anti-parasitaire et/ou alimentaire : tous les leviers ont été activés.

Réintroduction du sainfoin

En parallèle à la diversification des espèces animales, Marc-Antoine Forconi s’est aussi attelé à la compréhension de l’écosystème de l’exploitation. « Ça m’a pris des années, reconnait-il. Thierry [Geffray, l’un des fondateurs du Gaec, ndlr] m’avait prévenu dès mon arrivée : “Tu viens habiter ici, c’est bien. Mais il va falloir que tu attendes dix ans avant d’être à ton tour habité par le territoire”. » Face aux premiers effets du réchauffement climatique, les associés du Gaec ont commencé par réintroduire du sainfoin et abandonné la luzerne. « Sur les 55 ha de terres mécanisables de l’exploitation, nous en avons désormais 70 % en sainfoin. Nous avons fait le choix d’un sainfoin simple à une coupe qui tient six à sept ans dans nos champs. Nous en avons récupéré les graines chez des voisins âgés. Une vieille moissonneuse nous permet à présent de récolter nos propres graines », commente l’agriculteur. Le Gaec associe aussi le sainfoin à un mélange de graines moissonnées sur ses prairies naturelles. Malgré ces efforts pour réimplanter des espèces locales et rustiques, réputées mieux adaptées à la sécheresse, la réalité du changement climatique s’est imposée à Montlahuc comme ailleurs. Les pluies sont de plus en plus irrégulières et les vents, de plus en plus forts, intensifient l’évapotranspiration. La question d’optimiser les rares ressources en eau s’est donc posée.

Keyline design et baissières

Depuis trois ans, le Gaec de Montlahuc s’est lancé dans des aménagements paysagers établis selon les règles du Keyline design. Ce concept, né en Australie, vise à la fois à mieux gérer l’eau dans les parcelles et à assurer la régénération des sols. « Sur certaines parcelles, nous avons notamment creusé des baissières [petits canaux réalisés à la charrue qui suivent les courbes de niveau, ndlr] », détaille Marc-Antoine Forconi. Sur les talus de terre créés par la charrue, les associés ont planté des arbres. L’objectif est double : que l'eau de pluie qui ruisselle dans la pente se trouve piégée dans les baissières et s’infiltre lentement dans le sol mais aussi que les vents dominants, venant du bas de cette parcelle et qui assèchent le sol, se brisent sur les haies successives. Ces aménagements permettent aussi de récupérer les eaux de pluies qui jusqu’alors ruisselaient sur un chemin communal. L’eau provenant des revers d’eau installés par la commune est ainsi captée sur la parcelle via les baissières qui favorisent son infiltration.

Bois raméal fragmenté

C’est sur ce principe de ralentir, répartir, infiltrer les eaux de pluies et de ruissellement que se base l’hydrologie régénérative. Mais pour Marc-Antoine Forconi, le principe va beaucoup plus loin : il faut aussi s’intéresser à d’autres mécanismes qui permettent de « cultiver » l’eau sur les parcelles, comme la condensation ou encore la présence de bois mort et de mycorhizes qui vont favoriser les cycles de l’eau dans le sol… Le Gaec de Montlahuc cherche à mettre en œuvre ces principes, prônés par l’ingénieur agronome Hervé Covès. « Nous travaillons énormément avec le BRF [bois raméal fragmenté, ndlr]. Grâce au broyeur de la Cuma Bois énergie, nous en produisons 100 m³ par an, à partir des déchets de taille de notre bois de chauffe et ceux fournis par les habitants du village. Le BRF nous permet notamment de pailler au pied les haies que nous avons plantées [ 3 000 arbres, soit 3,5 km de haie en trois ans, ndlr]. Nous l’utilisons aussi en mélange avec nos fumiers que nous ensemençons en micro-organismes, et auxquels nous ajoutons du biochar que nous fabriquons ici par pyrolyse », décrit Marc-Antoine Forconi. Autant de pratiques qui suscitent l’intérêt d’autres agriculteurs mais également des dirigeants d’organismes agricoles. Et les associés du Gaec de Montlahuc s’en réjouissent, eux qui se sont fixés parmi les objectifs de leur projet de « servir de site pilote et d’expérimentation pour faire progresser autant que possible le monde agricole ».

Sophie Sabot

1. Le Gaec de Montlahuc a été fondé en 1982 par Thierry Geffray et Camille Brochier. Il a ensuite compté trois associés, Thierry Geffray (décédé en janvier dernier), Pascal Baudin et Thomas Vericel, avant de voir arriver successivement depuis 2014 six nouveaux associés qui constituent désormais le Gaec.