Dans le cadre de l’exposition « Vies d’enfants. Naître et grandir en Ardèche », proposée par les Archives départementales de l’Ardèche jusqu'en août 2024, l’archiviste Marion Wieber s’est penchée sur les crimes d’infanticides en Ardèche au XIXe siècle.
En Ardèche, même si les cas d’infanticides sont peu nombreux au vu de la moyenne nationale, il existe 45 dossiers de procédures, témoins du passé, consignés dans les archives du département.
Le traitement juridique de l’infanticide et son évolution
En 1810, le Code pénal de Napoléon définit l’infanticide comme le meurtre d’un nouveau-né. C’est un crime spécial, avec présomption de préméditation (la recherche d’une grossesse cachée ou un accouchement clandestin et d’un bébé viable). L’infanticide est alors puni de mort. Mais le jury acquitte facilement. Alors, en 1824, au vu de la difficulté d’application de la loi, les magistrats décident d’inclure dans le Code pénal les circonstances atténuantes et de transformer la peine de mort en travaux forcés. En 1835, la loi redéfinit l’infanticide : tant que la naissance n’a pas été déclarée, sous un maximum de trois jours. Sinon, l’infanticide est requalifié en meurtre. En 1901, l’infanticide redevient un crime ordinaire avec notion de préméditation qui doit être prouvé : dans le cas d’un assassinat, le ou la coupable s’en sort avec 5 ans de prison. Dans le cas où l’infanticide ne serait pas prémédité, le ou la coupable écope de deux ans de prison. En Ardèche, les peines appliquées sont légères.
L’infanticide, une affaire de femmes
Malgré le manque de preuves, comme pour le poison, l’infanticide est considéré comme un crime féminin. Dans l’Histoire, peu d’hommes en sont les auteurs. Mais souvent, les hommes accusent les femmes.
Dans une affaire d’infanticide, dévoilée lors de la conférence, l’un des hommes, supposé amant de l’accusée, témoigne « ne pas s’être servi de Marie Bonnefoy depuis au moins six mois. » Dans les archives du département, l’on retrouve pléthores de témoignages jugeant les accusés d’avoir des mœurs légères. Les dénonciations ne sont cependant pas l’apanage des hommes. Les femmes, gardiennes de la morale sexuelle du XIXe siècle, sont souvent à l’origine du lancement de l’enquête. Mais pour déclencher une procédure, les sources sont le plus souvent anonymes et la rumeur publique. « La faute est publique, la punition doit être publique », tel est l’adage de l’époque où tout se sait, tout se commente.
Mais malgré les interrogatoires effectués, il est difficile de prouver les crimes. Certaines femmes nient avoir accouché ou indiquent que le bébé est mort-né ou mort in utero. Si l’on constate sur le nouveau-né des marques de violences, les femmes expliquent avoir accouché debout et que ce sont là des chutes, qui ont provoqué la mort du nourrisson. Bien que les aveux soient rares, l’autre pièce accusatrice dont dispose la justice est les rapports médicaux légaux des nouveau-nés, mais aussi des mères, pour justifier de leur accouchement. Ainsi, elles ne peuvent plus nier et avouent. Elles expliquent comment elles tuent leur nouveau-né. Souvent, elles agissent dans l’urgence.
Différentes manières d’éteindre la vie des nourrissons sont consignées dans les rapports, où l’on fait état de cas d’asphyxie, d’étranglement, de blessure au couteau, de faire boire de l’eau jusqu’à la noyade, de laisser tomber l’enfant ou encore de le jeter contre un mur. Pour cacher leurs crimes, les accusées placent ainsi leurs enfants dans des endroits aussi incongrus qu’une armoire, une mare, une botte de foin ou une cavité.
Misère et désespoir, terreau de l’infanticide
Le profil type des accusées est invariablement le même à cette époque : l’âge oscille entre 25 et 30 ans, bien qu’une jeune fille de 14 ans, Marie Moins, fasse partie des 45 dossiers retrouvés dans les archives départementales. Ces femmes sont pour la plupart célibataires avec ou sans enfants. Quelques-unes sont veuves ou mariées. Leur éducation est limitée : elles ne savent ni lire ni écrire. Le niveau d’alphabétisation augmente cependant avec les années. Le milieu social est défavorisé, elles occupent des postes de ménagères, ouvrières ou encore servantes.
Leur morale est considérée à l’époque comme étant « dissolue » ou des « femmes travailleuses et honnêtes ». Malgré tout, les femmes connaissent le sort qui les attend si elles sont accusées d’infanticides. Les mobiles du crime sont motivés essentiellement par trois facteurs.
Sur le plan social, l’acte d’infanticide est motivé dans le but d’expier la faute, de se préserver du déshonneur de devenir une fille-mère, donc d’éviter le scandale et sauver, ainsi, sa réputation. « L’immoralité » est un terme que l’on retrouve très fréquemment en parcourant les archives judiciaires.
Qu’il s’agisse de libertinage si le rapport est consenti, ou de séduction, s’il est involontaire, dans les deux cas, la femme est coupable. Il apparaît à la lecture des archives, à travers les différents témoignages, que les femmes subissent les assauts d’un patron, d’un voisin, d’un viol ou tout simplement d’un homme qui promet le mariage.
Le deuxième facteur est d’origine psychologique. La solitude extrême dans laquelle sont plongées ces femmes au moment de leur accouchement qui se déroule sans aide, témoigne d’un état psychologique fragile. Certaines ont fait des dénis de grossesses, sont jeunes et affolées, dans une confusion mentale totale. Le trouble mental est aussi une stratégie employée pour éviter la justice, à l’instar de Marianne Cheyre qui a caché sa grossesse. Mais le silence, au lieu de les protéger, les accable. Pour la justice du XIXe, si ces femmes n’ont pas parlé de leur grossesse autour d’elles, c’est bien qu’elles eussent l’intention de tuer leurs enfants. Pour ne pas avoir à commenter les raisons du crime, certaines femmes invoquent la perte de raison dans un moment de désespoir. Enfin, le facteur économique joue également un grand rôle dans les mobiles qu’on incombe aux accusées. Une grande misère matérielle et des femmes souvent sans famille ni ressources pour subvenir aux besoins d’un nouveau-né.
Dans une société conservatrice telle qu’elle était en France au XIXe siècle, la femme reste coupable, symbole des dangers de la séduction, tandis que l’homme lui, n’est que peu inquiété. Mais société du XIXe, ou société actuelle, les causes et circonstances des infanticides sont restées les mêmes : misère, solitude et précarité font le berceau de ces crimes.
Cette plongée dans les archives permet de prendre conscience que la femme ne peut compter que sur elle-même pour se bâtir un avenir. Il faudra attendre 1967 pour que la pilule soit légalisée. Le 30 janvier 2024, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’IVG.
Marine Martin
Le cas Hortense Rieu
Contrairement aux autres accusées retrouvées dans les archives départementales, le cas Hortense Rieu fait office d’exception.
Hortense Rieu, née en 1879 à Saint-Etienne-de-Lugdarès, est une bonne, employée dans une famille du village. Elle a 17 ans et sait lire et écrire. Un soir, elle part accoucher dans le séchoir à Châtaigne. Elle dira plus tard aux enquêteurs, « avoir saisi l’enfant par le cou et jeté contre le mur ». Alertée, la maîtresse des lieux préviendra les autorités. Hortense, contrairement à la plupart des accusées, reconnaît avoir donné la mort au bébé, dans un moment d’affolement. La jeune fille se dit surprise par un accouchement prématuré et indique avoir été au courant de sa grossesse. « Son séducteur », Jean, reconnaît les relations. « Hortense était facile », témoignera-t-il. Tandis que le maître des lieux, son patron, indique qu’Hortense est d’une « bonne moralité », sa patronne, témoigne à charge : « Elle a tué de sang-froid, sans verser de larmes », lit-on dans les dépositions. Accusée d’avoir donné la mort à un enfant viable, Hortense Rieu est écrouée à la maison d’arrêt de Privas en attendant son procès. Lors de la sentence, elle est acquittée. Les archives ne permettent pas de comprendre les raisons de l’acquittement. Hortense finira par se marier avec son « séducteur », Jean, avec qui elle aura par la suite beaucoup d’enfants.
Nombre d'infanticides en France et en Ardèche au XIXe
1 733 sont comptés en France et 100 en Ardèche entre 1832 et 1900.