Souvent décriée, l’irrigation est indispensable pour assurer la souveraineté alimentaire du pays. Entre contrevérités et questionnements sociétaux, Irrigants de France a choisi la démonstration par l’exemple en conviant la presse sur deux exploitations charentaises.
Aujourd’hui, en France, seule un quart des cultures de maïs est irrigué. Pourtant, la plante aux nombreuses utilisations, parfois méconnues (peinture, produits cosmétiques…), est régulièrement la cible d’attaques concernant son besoin en eau. « L’agriculture est en première ligne du changement climatique et l’eau tient un rôle majeur, a souligné Éric Frétillère, président d’Irrigants de France. Quels que soient les modèles agricoles, nous remarquons qu’il y a désormais plus d’eau en hiver et moins en été. Si nous voulons préserver notre alimentation, il faut s’atteler à cette problématique. » En Charente, cela fait longtemps que les réflexions ont abouti. Ainsi, la réserve partagée par Guillaume Chamouleau et deux autres agriculteurs existe depuis 25 ans. D’une capacité de 207 000 m3, le projet visait à limiter les prélèvements sur la rivière, trop importants, et à stocker 60 % de leurs besoins en eau. Et ça marche. « Nous ne prélevons plus sur le cours d’eau et, durant l’été 2022, nous n’avons pas eu à souffrir de restrictions, explique l’agriculteur. Nous prélevons entre la mi-octobre et la mi-avril quand il y a le plus d’eau. Cela correspond à 3 % du débit de la rivière à ce moment-là. Notre impact est totalement maîtrisé. » Sur son exploitation de 200 hectares environ, Guillaume cultive du blé tendre, du maïs Waxy, du colza, de l’orge fourragère, des pois protéagineux… Les 45 hectares irrigués assurent 40 % du chiffre d’affaires de l’exploitation. Le céréalier pratique par ailleurs l’agriculture de conservation des sols pour accentuer son rôle d’éponge, sème des couverts végétaux et ses cultures captent plus de 1800 tonnes de CO2 par an. Bref, il agit pour l’environnement. « Quoi que l’on fasse, il y a forcément un impact, mais il faut aussi regarder ce qui est créé, rappelle Guillaume, dont l’exploitation nourrit plus de 3 000 personnes par an. L’eau est indispensable aux plantes. Les plantes jouent aussi un rôle de climatisation, or sans eau, pas de photosynthèse. » L’accès à l’eau est aussi un gage de transmissibilité de l’exploitation.
Des projets de plus en plus complexes
Ce que Guillaume regrette aujourd’hui, c’est la complexification des dossiers de projets et leurs coûts. « On peut aussi s’interroger sur les études d’impact, renchérit Éric Frétillère. Jusqu’où faut-il aller ? Aujourd’hui, on demande à un juge de devenir un expert technique alors que son rôle est de vérifier la conformité au texte de loi. » Après 25 ans, le coût de la réserve de Cellefrouin est amorti et de nouveaux projets peuvent être envisagés. Un projet d’installation d’ombrières photovoltaïques est à l’étude. « Cela pourrait être pertinent : l’eau rafraîchit les panneaux qui sont ainsi plus efficaces. Les panneaux limitent l’évaporation et le réchauffement de l’eau », détaille Guillaume. À Saint-Cyr-sur-Bonnieure, sur l’exploitation de Christian Daniau, les cultures sont aussi très diversifiées. « Nous cultivons du maïs, du colza et nous faisons également beaucoup d’expérimentations, indique le céréalier. L’irrigation nous permet d’assurer la levée des semis. Cette année, pour la seconde fois, nous avons semé des cacahuètes. Nous testons différents itinéraires techniques pour voir l’impact de l’arrêt précoce de l’irrigation. » Pour les trois producteurs, le constat est clair ; le stockage fait partie des solutions mais ce n’est pas le seul. Il y a d’autres enjeux comme le recyclage des eaux usées. Les récents événements politiques causent aussi de grandes incertitudes. « Le projet de loi agricole avait avancé et nous souhaitons que les travaux menés soient repris par le futur gouvernement, notamment la qualification de l’agriculture comme un enjeu d’intérêt général majeur, précise le président d’Irrigants de France. Nous avons proposé également la création d’un secrétariat général de l’eau transversal sous la tutelle du Premier ministre et qui rassemblerait les ministères de l’Agriculture, de l’Industrie, de la Santé et de l’Environnement. » Leur crainte, l‘abandon de projets de réserves telles que celle de Sainte-Soline. « Si ces projets ne se font pas, on va directement vers ce qu’on ne veut pas : de très grandes exploitations, parce que le rendement ne sera possible qu’à cette condition… », conclut Éric Frétillère, appelant à l’écoute réciproque et au compromis.
P. Dumont
REDEVANCE IRRIGATION / Les taux connus fin octobre
Les négociations autour de l’adoption du douzième programme d’intervention des agences de l’eau pour la période 2025-2030 sont toujours en cours. Au coeur des discussions figure notamment la question de la fixation des taux de redevances pour prélèvement, qui seront définitivement connus lors de la promulgation au Journal officiel du douzième programme le 31 octobre. Pour l’heure, les négociations risquent d’être relativement « calmes », voire « en stand-by », selon Éric Frétillère, président des Irrigants de France, et ce alors que la nomination d’un nouveau gouvernement se fait attendre. Il semblerait toutefois que les bassins Adour-Garonne et Rhône-Méditerranée Corse connaissent des augmentations de leurs redevances « assez importantes », puisque celles-ci se trouvaient « en deçà des planchers », souligne un expert au sein de l’agence de l’eau Loire-Bretagne.
Pour rappel, à l’automne 2023, le gouvernement avait prévu d’introduire des taux planchers et de relever le plafond annuel dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2024. Après la protestation des syndicats agricoles majoritaires, la Première ministre avait accepté d’abaisser les planchers prévus, sans précision chiffrée par la suite. « Nous voulons bien que les redevances augmentent, mais dans des proportions acceptables », a précisé Éric Frétillère. Il estime notamment que les contraintes autour de la création des retenues d’eau sont pour l’heure « trop importantes ».