Culture emblématique en Drôme provençale au même titre que l’olivier, le tilleul a perdu ses lettres de noblesse au fil des années. Aujourd’hui, la filière aimerait redorer son blason, mais ce n’est pas sans difficultés. Récit.
Arbre de la liberté, arbre de justice, arbre médecin… Le tilleul, connu pour ses vertus apaisantes, est un arbre emblématique du territoire français, et plus particulièrement de la Drôme. Pourtant, cette culture peine aujourd’hui à exister. « Le tilleul des Baronnies, dont les fleurs sont cueillies et séchées manuellement, a représenté jusqu’à 90 % de la production française, avec un maximum de 400 tonnes commercialisées à la fin des années 1950. Vendu sur des foires à des négociants locaux dès le début du siècle, le tilleul est déclaré ‘‘mort et enterré’’ dans les années 2000 à la suite des crises financières », relate Jeanne-Martine Robert, docteure en anthropologie, dans sa thèse1 parue en 2021. « Les Baronnies ont longtemps été le marché européen de référence pour le tilleul, produisant dans sa zone de cueillette plus des deux-tiers des besoins nationaux. Cette activité a presque disparu aujourd’hui. Les besoins sont couverts par les importations, principalement de Chine », indique FranceAgriMer dans une étude parue en 2023.
Depuis les années 1980, plusieurs projets de relance sont mis en place de part et d’autre, sans grand succès. « Cela fait trente ans que la culture du tilleul vivote. Il est difficile de la faire reconnaître comme une filière à part entière, au même titre que les autres productions agricoles », avoue Jean-Claude Blanchard, agriculteur retraité, cueilleur de tilleul et membre du syndicat des producteurs de tilleul des Baronnies (Drôme) créé en 1952.
Une pratique ancestrale à préserver
Aujourd’hui, la culture de tilleul n’est pas reconnue par la politique agricole commune, ce qui fait monter la colère des producteurs. « Les producteurs de tabac ont droit aux subventions de la Pac mais pas ceux de tilleul ! Nous voulons nous faire entendre : si nous arrivons à décrocher une subvention, plus de gens seraient attirés par la production du tilleul », relève Jean-Jacques Cornand, secrétaire du syndicat depuis 2015, et également cueilleur.
Depuis 2015, une dizaine de producteurs de tilleul des Baronnies travaille en direct avec la société française coopérative ouvrière provençale de thés et infusions, Scop-ti, localisée à Gémenos (Bouches-du-Rhône). « Cette coopérative a à coeur de mettre en valeur les productions locales. Elle achète environ 500 kg de tilleul bio des Baronnies chaque année, chez une dizaine de producteurs, pour concevoir des infusettes », note Jean-Jacques Cornand. D’autres acteurs locaux, comme l’Herbier du Diois (Châtillon-en-Diois), Elixens (Eurre) ou encore Tisanes du Dauphin (Buis-les-Baronnies), cherchent à s’approvisionner en tilleul des Baronnies. Mais au début des années 2020, la quantité cueillie et négociée sur le secteur n’était que d’une dizaine de tonnes… Une quantité bien insuffisante pour répondre à la demande.
Prix bas et concurrence élevée !
Il reste désormais à améliorer les pratiques pour en faire une culture attirante et rémunératrice. « L’enjeu sur le tilleul est le coût de la main-d’oeuvre car la récolte est forcément manuelle. Aujourd’hui, le prix d’achat des bractées sèches françaises varie entre 20 et 45 €/kg.À moins de 30 à 35 €/kg, de nombreux cueilleurs ne couvrent pas leurs frais. Bien sûr, la concurrence étrangère (Europe de l’Est, Chine, etc.) est bien moins chère qu’en France », s’inquiète Cédric Yvin, conseiller spécialisé Ppam à la chambre d’agriculture de la Drôme. Une situation regrettable tant les débouchés du tilleul sont nombreux. En effet, toutes les parties (feuilles, bourgeons, fleurs, bractées, etc.) sont exploitées en infusion, en cuisine, en gemmothérapie, en phytothérapie, en cosmétique, etc.
Amandine Priolet
1. « Faire avec, faire milieu. Contribution à une anthropologie de la vie à partir de l’ethnographie du travail du tilleul dans les Baronnies provençales ».
Quelques données techniques
Il existe une cinquantaine d’espèces de tilleul. La floraison démarre au début de l’été. La récolte des bractées se réalise en été.
La production annuelle est de 120 kg de fleurs fraîches, soit environ 30 kg de fleurs sèches.
Taille et longévité :
- le tilleul à petites feuilles (5 cm) mesure 30 mètres et vit jusqu’à 500 ans ;
- tilleul à grandes feuilles (15 cm) mesure 30 à 40 mètres et vit jusqu’à 1 000 ans.
Source : FranceAgriMer
Des vergers piétons en expérimentation
« Depuis 5 ans, dans la Drôme, des essais sont en cours avec des vergers piétons et agroforestiers, dans lesquels sont implantées des plantes à parfum, aromatiques et médicinales (Ppam) entre les rangées d’arbres. Les tilleuls sont taillés comme des abricotiers afin de faciliter la cueillette et donc baisser le coût de la récolte », explique Cédric Yvin, conseiller spécialisé Ppam à la chambre d’agriculture de la Drôme. En effet, les tilleuls existants mesurent souvent 20 mètres de haut et c’est souvent l’agriculteur lui-même qui s’occupe de la taille. « La famille - non rémunérée - ou les salariés restent en bas, du fait de la législation sur le travail en hauteur », poursuit-il. Plusieurs dispositifs de taille sont alors étudiés, en gobelet, en palissé ou en cépée. L’exploitation du lycée Terres d’Horizon (EPLEFPA) de Romans-sur-Isère gère un verger piéton à vocation expérimentale et pédagogique depuis 2017. « L’objectif était d’étudier l’architecture du tilleul et son développement au milieu de parcelles de Ppam (thym, sauge, romarin) cultivées en inter-rangs. Notre travail consiste à observer et mesurer les stades de floraison, suivre l’évolution du rendement à travers le comptage des bractées, travailler sur la taille de formation, etc. », explique Caroline Baconnier, chargée d’expérimentations sur l’exploitation du lycée.
À Châteauneuf-sur-Isère ou encore Chatuzange-le-Goubet, des producteurs adhérents à la Sica Bio Plantes ont également tenté l’aventure, en partenariat avec Elixens, une entreprise spécialisée dans l’achat, la transformation et la commercialisation de Ppam. « Le premier verger piéton a été implanté il y a quatre ans. Les résultats sont plutôt encourageants. Cela nous permet d’étudier les différents cultivars (variétés cultivées), les stades de floraison mais aussi la conduite de la taille. L’idée était de choisir des cultivars nous permettant d’étaler la récolte avec des stades de floraison différents. En revanche, nous devons encore progresser sur la taille. Les arbres sont trop denses », indique Pierre Battail, responsable agronomique chez Elixens. À terme, il conviendra d’améliorer les coûts de production afin de participer à la relance du tilleul local et ainsi répondre à la demande existante…
A.P.
Un guide sur la filière tilleul
Impliquée dans le projet Pepit1 plan de filière plantes à parfum, aromatiques et médicinales (Ppam), l’exploitation Terres d’Horizon (EPLEFPA) de Romans-sur-Isère a répondu à un appel à projets pour l’élaboration d’un guide sur le tilleul, en collaboration avec d’autres partenaires de la filière : chambre d’agriculture de la Drôme, parc naturel régional des Baronnies, Agribio Drôme, négociants, pépiniéristes et cueilleurs… « L’objectif n’est pas de créer une encyclopédie mais de proposer un outil permettant de recueillir et centraliser les différentes ressources botaniques, techniques et économiques. L’outil se veut interactif et évolutif avec un format numérique et une édition papier facilement consultable et diffusable », explique Caroline Baconnier, chargée d’expérimentations sur l’exploitation du lycée agricole. Ce guide, à portée régionale, sera enrichi au fur et à mesure. Il contiendra des informations sur la botanique, l’écologie, l’aire géographique, les variétés locales, l’architecture, le développement et la taille de formation, les cueilleurs et producteurs, les marchés et débouchés, etc. « L’édition de ce guide aura un intérêt pour la relance du tilleul et donc, plus largement, pour la filière », conclut-elle. L’ouvrage devrait être publié courant 2025.
1. Pôle d’expérimentation partenariale pour l’innovation et le transfert vers les agriculteurs d’Auvergne-Rhône-Alpes.