PRODUCTION
La filière plants et semences face au défi du changement climatique

Selon une étude de l’assureur Axa Climate, 60 % de la zone de production des semences française sera soumise à un risque fort ou extrême en raison du réchauffement climatique. Les principales inquiétudes ? L’impact du manque d’eau et des hausses des températures. Afin de s’adapter, la filière plants et semences mise sur leur multiplication et la recherche d’espèces plus résistantes.

La filière plants et semences face au défi du changement climatique
Selon l’interprofession, la part des semences dans la balance commerciale extérieure de la France « devient de plus en plus prépondérante » : de 50 % à 55 % en cinq ans. © SEMAE - Philippe Roux
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Béatrice Petit, déléguée régionale de l’interprofession des semences et plants (Semae) Sud-Est. ©Frederic Vigier-Semae

Dans quels pays la filière semence gagne-t-elle et perd-elle des parts de marché ?

Béatrice Petit : « Entre la campagne 2021-2022 et la campagne 2022-2023, le chiffre d’affaires à l’export a augmenté de 11 % à l’échelle mondiale. Si le premier marché de semences fran­çaises se concentre sur l’Union euro­péenne, une dynamique de progression existe, notamment en Amérique latine et en Amérique du Nord. En revanche, la Russie, qui est un gros acheteur, a adopté une politique de fermeture de ses frontières, ce qui a provoqué une contraction du marché. »

Selon une étude réalisée par l’assureur Axa Climate et l’interprofession des semences et plants (Semae), 27 % des surfaces en multiplication de semences sont aujourd’hui soumises à un risque climatique. Où sont situées ces surfaces et à quoi correspondent ces risques ?

B. P. : « Un excès d’eau ou un manque d’eau, une hausse des températures à des moments-clés du cycle de la semence… Les risques sont multifactoriels et vont probablement entraîner des mouvements d’espèces. Nous ne sommes pas encore entrés dans la territorialisation de telle ou telle espèce, puisque notre objectif est plutôt de trouver avec quels moyens la production de semences pourra perdurer. Le sud-est de la France fait partie des zones fortement impactées. À l’horizon 2030, le risque numéro un est le manque d’eau, suivi par l’augmentation des températures qui entraîne le blocage des plantes et qui ralentit l’activité des pollinisateurs. Les gelées d’avril constituent également une source d’inquiétude. »

Ce même rapport recommande de favoriser la plantation de pois chiches, mais aussi de cultures de lentilles et de haricots rouges dans le sud-est du pays. Ces recommandations ont-elles été entendues ?

B. P. : « Avec l’union de coopératives Top Semence, les semences de pois-chiches se développent peu à peu sur l’ensemble du territoire français, dont le Sud-Est. À l’image de ce qu’il est en train de se faire pour le sorgho, ces cultures nécessitent de structurer de nouvelles filières. Cela passe par le déploiement des surfaces de production, des modes de commercialisation et des coopératives. »

Dans une interview accordée à l’Agence France Presse (AFP) en 2022, Didier Nury, président de l’Union française des semenciers (UFS), avait soutenu que si la production de semences baissait trop, la France risquait d’en manquer en 2025. Que répondez-vous à cette crainte ?

B. P. : « La France est le premier exportateur mondial de semences agricoles. Peser ce poids économique-là est un atout. Le pays ne manque pas de semences, mais éprouve de plus en plus de difficultés à maintenir son réseau d’agriculteurs-multiplicateurs. À titre d’exemple, le nombre d’agriculteurs-multiplicateurs a baissé de 20 % en huit ans en Auvergne-Rhône-Alpes. Concernant certaines espèces, comme le maïs, nous connaissons également une baisse des surfaces. Ces tendances nous alertent. À l’avenir, serons-nous en capacité de continuer à produire de la semence, qui est pourtant une production technique et plus rémunératrice que les productions de consommation ? »

Quels facteurs expliquent ce désintérêt éprouvé par certains agriculteurs-multiplicateurs ?

B. P. : « Il y a deux ans, certains agriculteurs-multiplicateurs se sont détournés de la production de semences ou ont réduit leur surface, car le gain financier de cette production était moins important. Depuis, le contexte a changé et les surfaces ont été retrouvées. Bien qu’il soit nécessaire de prendre en compte les coûts de revient liés à l’eau et à l’énergie, le Sud-Est est un territoire qui irrigue plus que les autres, l’activité de production de semences y est donc rémunératrice. »

Propos recueillis par Léa Rochon

NBT : le Parlement européen confirme sa position

a confirmé sa position par 336 voix contre 238 et 41 abstentions concernant les nouvelles techniques de sélection génomiques (NBT). Début février, les eurodéputés étaient convenus d’une position libéralisant l’utilisation des plantes issues des NBT dans l’Union européenne (UE), tout en introduisant des dispositions sur la traçabilité et l’étiquetage tout au long de la chaîne alimentaire, ainsi qu’une interdiction d’accorder des brevets aux NBT de catégorie 1, considérées comme équivalentes ou très proches de variétés conventionnelles. Toutefois, les États membres – divisés sur la question de la brevetabilité – n’ayant pas encore adopté leur position sur ce dossier, le Parlement a dû clore son examen en première lecture lors de la dernière session plénière avant les élections de juin. En mars, l’Anses, l’agence responsable de la sécurité sanitaire de l’alimentation, avait publié un rapport dans lequel elle recommandait d’évaluer « au cas par cas » les plantes issues des nouvelles techniques génomiques avant leur mise sur le marché européen. Selon l’organisme, le référentiel actuel d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux des plantes génétiquement modifiées « n’est que partiellement adapté à l’évaluation de ces nouvelles plantes ». Lors de son analyse, l’Anses a développé un arbre décisionnel « adapté à une approche graduée des risques ». Cette évaluation pourrait être « simplifiée pour des plantes génétiquement modifiées pour lesquelles l’historique de connaissances permet de justifier un moindre niveau de risque », ont néanmoins précisé les experts.

Agra Presse et L. R.

"Nous multiplions la recherche"
Aujourd’hui, près de 17 000 agriculteurs multiplient des semences. ©Joao de Moura - photo d’illustration
MULTIPLICATEURS DE SEMENCES

"Nous multiplions la recherche"

Stéphane Desrieux, multiplicateur de semences dans la Drôme, se dit être un intermédiaire entre la recherche fondamentale et la production finale. L’enjeu pour cet échelon de la filière réside en une meilleure rémunération des producteurs.

Selon le ministère de l’Agriculture, près de 17 000 agriculteurs sont multiplicateurs de semences1 en France et cultivent plus de 380 000 hectares, une surface en légère baisse par rapport à 2022. Selon l’interprofession Semae, ces professionnels ont mis en culture 7 120 variétés en 2023. Ils assurent collectivement 150 000 contrats de multiplication par an. Et selon Stéphane Desrieux, exploitant dans la Drôme et président du syndicat de producteurs de semences maïs et sorgho Rhône-Alpes (SPSMS), la recherche de la performance et de l’optimisation de la technicité et l’adaptation à la fragilité des géniteurs à multiplier sont inscrites dans l’ADN des multiplicateurs. « Pour réussir et se maintenir, c’est un passage obligé. Nous sommes toujours en recherche d’un meilleur protocole, de l’optimisation de nos productions », explique le passionné qui évolue au sein de cette filière depuis plus de vingt ans maintenant. Quant à la recherche fondamentale, Stéphane Desrieux reconnaît qu’il y aura peu d’impact au niveau des agriculteurs-multiplicateurs. « Il y a eu beaucoup d’avancées notamment au niveau du potentiel génétique depuis une quarantaine d’années, mais nous, les multiplicateurs de semences, sommes des intermédiaires. Nous multiplions la recherche pour que nos clients finaux aient des hybrides performants s’adaptant de mieux en mieux aux contraintes. La recherche fondamentale a avant tout pour vocation de faire progresser la production finale des céréales », ajoute le producteur qui est également secrétaire général de l’AGPM maïs semences.

Stopper les yo-yo

Alors pour Stéphane Desrieux, l’enjeu d’avenir pour les multiplicateurs de semences est ailleurs. « Aujourd’hui, pour assurer un avenir à notre échelon, notre première attente concerne notre revenu. Le nerf de la guerre est la rémunération. L’an dernier, nous avions eu un réajustement de la situation porté par les cours des céréales, en 2024, c’est la dégringolade. Une partie des contrats signés ne couvre pas les coûts complets de production. Il est primordial que l’on arrête l’effet yo-yo des prix qui sont trop corrélés à ceux des céréales, mais également nous devons enrayer l’effet yo-yo des surfaces », insiste le producteur drômois. La revalorisation du revenu des agriculteurs multiplicateurs de semences est un prérequis pour Stéphane Desrieux pour assurer l’avenir de la filière. « Nous faisons face aux mêmes contraintes que les autres producteurs, mais elles sont de moins en moins supportées et supportables », explique celui qui a vu, dans son bassin de production historique, les surfaces d’emblavement de production de semences de maïs et de sorgho passer sous la barre des 5 000 ha en 2022 alors qu’en 2014, elles s’élevaient à près de 11 400 ha.

Marie-Cécile Seigle-Buyat

1. 5 858 pour les semences de céréales à paille et plantes protéagineuses, 3 909 en maïs et sorgho, 3 239 en plantes oléagineuses, 3 199 en plantes fourragères et gazons, 894 en betteraves et chicorées, 711 en pommes de terre, 1 294 en lins et chanvre, 2 587 en plantes potagères et florales.

Agri Obtentions : devenir le semencier de l’agroécologie
Agri Obtentions produit 10 000 tonnes de semences de grandes cultures par an pour un chiffre d’affaires de 16 millions d’euros. ©Agri Obtention
ENTREPRISE

Agri Obtentions : devenir le semencier de l’agroécologie

Agri Obtentions, l’entreprise de semences filiale de l’Inrae, confirme son positionnement de production de semences adaptées à la transition agroécologique.

L’entreprise Agri Obtentions a présenté son nouveau logo et ses orientations stratégiques à l’horizon 2030, devenir le semencier de l’agroécologie. Cette entreprise semencière, dont le siège est à Guyancourt (Yvelines), est une filiale de l’Inrae. Elle produit 10 000 tonnes de semences de grandes cultures par an pour un chiffre d’affaires de 16 millions d’euros. Tournée vers l’innovation depuis une vingtaine d’années, elle consacre le tiers de son chiffre d’affaires à la recherche et au développement. En 2023, elle a ainsi mis sur le marché vingt nouvelles variétés. Les agriculteurs la connaissent puisque des variétés de blé tendre comme barok et koreli ont pris des parts de marché significatives. « Ces variétés résistantes aux maladies, permettent une réduction des produits phytosanitaires et évitent l’utilisation de béquilles chimiques », explique le directeur général Vincent Béguier. Agri Obtention est également leader en Île-de-France avec rebelde, un blé de force, riche en protéines. Elle est le premier obtenteur français en triticale (recherché par la meunerie), en protéagineux, en sarrasin et en lentilles, avec la variété alicia, pour fournir les filières IGP du Berry et du Puy-en-Velay et de nombreuses variétés en gamme biologique.

Holobionte

Pour Vincent Béguier, « dans un contexte de changement climatique, l’entreprise veut être le fournisseur de diversité au service de la transformation agroécologique ». Cela signifie proposer une palette de variétés plus large pour s’adapter aux rotations avec davantage d’espèces, notamment des légumineuses et réduire ainsi l’apport d’azote et de phosphore. Les recherches en cours, qui porteront leurs fruits dans quelques années, se focalisent notamment sur « l’holobionte », la faculté des plantes de mobiliser les fonctions microbiennes du sol, avec pour objectif d’utiliser moins d’engrais et moins de produits phytosanitaires. À côté des grandes cultures, Agri Obtention multiplie ses recherches sur la transformation des légumineuses, notamment la lentille avec l’Inrae de Dijon pour trouver des variétés résistantes à la bruche. L’obtenteur a également lancé un partenariat avec l’Institut français de la vigne pour mettre au point des variétés résistantes à l’oïdium et au mildiou. Il est également présent dans les arbres fruitiers et les potagères. L’entreprise travaille avec 170 agriculteurs-multiplicateurs sur cinq sites répartis en France. « C’est cette présence sur le terrain qui est la meilleure façon d’aborder le changement climatique », explique François Cuvelier, directeur commercial. « Nous avons connu des records de sécheresse sur la station expérimentale de l’Inrae de Clermont-Ferrand, et l’on peut s’adapter en fonction de ce que l’on constate sur nos parcelles d’essais. » La force d’Agri Obtention est de fournir des solutions opérationnelles aux agriculteurs car elle peut prendre des risques. Olivier Le Gall, directeur de recherche à l’Inrae et président d’Agri Obtention l’exprime de la manière suivante : « Agri Obtention, est le bras armé de l’Inrae. Les semences sont le pilier de la transition de notre alimentation. Pour trouver des solutions il faut de la génétique afin de produire mieux avec moins d’intrants ». Le semencier poursuit ses recherches et espère atteindre un chiffre d’affaires de 25 millions d’euros en 2030, dont 80 % issus de produits agroécologiques.

Actuagri

EN CHIFFRES / La filière semence française

3,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 1,2 milliard d’euros d’excédent commercial.

253. Le nombre d’entreprises de production de semences.

150. Le nombre d’entreprises de triage à façon qui transforment la semence brute en un produit prêt à être semé.

69. Le nombre d’entreprises de sélection de semences.

11 000. Le nombre d’emplois créés dans les entreprises de sélection et de production de semences.

16 864. Le nombre d’agriculteurs - multiplicateurs, en baisse par rapport aux années précédentes.

389 000. Le nombre d’agriculteurs utilisateurs de semences.

16,5 millions. Le nombre de jardiniers amateurs utilisateurs de semences.

347 891 ha. La surface dédiée à la multiplication de semences pour les espèces agricoles et fourragères, en diminution depuis 2019.

24 464 ha. La surface dédiée à la multiplication de semences pour les espèces potagères et florales, en légère augmentation depuis 2019.

27 100 ha. La surface dédiée à la production de semences en Auvergne-Rhône-Alpes, Saône-et-Loire et Jura, avec trois départements très actifs : la Drôme (8 700 ha), le Puy-de-Dôme (7 500 ha) et l’Isère (4 000 ha). Viennent ensuite l’Ain et le Jura. La majorité de ces surfaces concerne la production de semences de maïs, d’oléagineux et de céréales à paille.

Sources SEMAE et SOC-France pour la campagne 2022-2023.