Nicolas Drouzy, conseiller technique du syndicat des fruits de Savoie, revient sur les stratégies de lutte contre les punaises diaboliques et présente des essais visant encore à l’améliorer.

Punaise diabolique : quelle stratégie adopter ?
Conseiller technique du syndicat des fruits de Savoie, Nicolas Drouzy a mené plusieurs expérimentations pour améliorer la lutte contre la punaise diabolique qui a ravagé les vergers en 2019. ©AD_PDeDeus

En 2019, à La Motte-Servolex (Savoie), les vergers de poires williams ont été imputés de plus de la moitié de la récolte par les attaques d’Halyomorpha halys (nom scientifique). Des poires piquées ici et là, ou bien de toutes parts. Dans un cas comme dans l’autre, le fruit est quasiment invendable. En 2021 et 2022, le conseiller technique du syndicat des fruits de Savoie, Nicolas Drouzy, a comparé plusieurs stratégies de lutte contre ce ravageur. « Ce qui marche très bien, ce sont les filets mono-rang alt’carpo et mono-parcelle paragrêle en toiture », explique le conseiller. Le filet doit toutefois être fermé de bas en haut, sans laisser de trou au niveau des troncs, pour limiter le passage des larves. Enfin, il faut aussi les fermer au bon moment, et pour cela le piégeage est nécessaire.

Quel piège ?

Trois pièges ont été testés lors de ces essais : Shindo, Diablex, Koppert et Ag Bio. D’après les données collectées par Nicolas Drouzy, le Diablex présente une meilleure efficacité à tous les stades (larvaires et adultes). Pour fonctionner, ils doivent toutefois être doublés de phéromones d’attraction. Là encore, plusieurs ont été comparées (Rescue, Bioprox, Progarein, Trece, Koppert) et d’après le conseiller, c’est le couple Diablex, Trece qui présente le taux de piégeage le plus important, notamment pour les jeunes larves (stade 2 et 3), de fin avril à mi-juin.

Il recommande, toutefois, de limiter le nombre de pièges. L’idée est d’utiliser cette technique comme méthode de détection des individus et de leur cycle biologique. L’expérimentation a d’ailleurs montré que le piégeage massif était contre-productif : 15 % de dégâts étaient observés dans les vergers sans piège, contre 35 % dans les vergers où une stratégie de piégeage massif était déployée. « C’est le triptyque verger, piège, phéromone qui fait l’attraction », souligne Nicolas Drouzy. Autrement dit, plus le piège sera éloigné du verger moins il sera efficace, mais les pièges au sein des vergers vont générer des dégâts supplémentaires. « Il faut trouver le bon équilibre entre la proximité et les dégâts qu’on accepte », ajoute le conseiller. L’idéal est d’installer le dispositif sur un poteau indépendant à une dizaine de mètres du verger (le rayon d’action des pièges étant de 50 mètres).

Quelle lutte chimique ?

Une fois les larves détectées, une lutte chimique peut être déployée pour éviter les dégâts liés à la première génération sous le filet. Dans les vieux vergers où la mise en place de filets est impossible, cette stratégie permet de maintenir les rendements malgré la présence du ravageur sur la zone. Le syndicat des fruits de Savoie a mené des essais avec le seul produit homologué en France, le Decis protech. Une seule application a montré une efficacité de 60 % et jusqu’à 80 % avec deux passages. Problème : il s’agit d’un insecticide à large spectre qui peut affecter également les auxiliaires, risquant de faire réapparaître des ravageurs jusque-là maîtrisés. Outre le Decis protech, le Confirm a reçu une dérogation l’année dernière. « Il a besoin d’être expérimenté », précise Nicolas Drouzy. Il s’agit d’un régulateur de croissance d’insectes qui serait efficace sur les trois premiers stades larvaires de la punaise.

Quelles alternatives ?

Enfin, des solutions de biocontrôle ont été testées, et notamment un mélange d’huiles essentielles d’ail et de valériane. Cette solution répulsive montre une efficacité, mais plutôt faible : 30 % de dégâts, dont moins de 10 % marqués, contre 35 % de dégâts, dont 20 % marqués sur la parcelle témoin. De plus, cette stratégie demande des passages réguliers, au moins toutes les semaines, et présente un coût important. Malgré ces limites, Nicolas Drouzy rappelle que face aux ravageurs « la lutte doit forcément être combinée ». Et d’ajouter : « Il n’y aura pas de miracle chimique ». Toutefois le conseiller se veut optimiste. De nombreuses alternatives pourraient être développées dans les prochaines années, telles que les méthodes répulsives, olfactives ou vibratoires, ou encore la lutte biologique.

Pauline De Deus

CARTE D’IDENTITÉ / Halyomorpha halys, qui est-elle ?
La punaise diabolique ou Halyomorpha halys est une espèce envahissante, présente en France depuis 2012. ©Hectonichus_Wikimedia

CARTE D’IDENTITÉ / Halyomorpha halys, qui est-elle ?

Cette punaise, d’une taille d’environ 1,5 cm de long, originaire d’Asie du Sud-Est, est une espèce envahissante qui cause des dégâts, puisqu’elle se nourrit de fruits et légumes. Elle se reproduit à partir du mois de juin et pond une trentaine d’oeufs blanchâtres regroupés, plusieurs fois par an. L’éclosion a lieu trois à six jours plus tard. Avant l’âge adulte, les punaises passent par cinq stades larvaires. Durant les deux premiers stades, elles sont peu mobiles, mais elles peuvent ensuite se déplacer et grimper rapidement à plusieurs mètres de hauteur. À l’âge adulte, elles volent et peuvent parcourir jusqu’à 2 km par jour. À l’automne, cette punaise se prépare à hiverner dans les forêts (crevasses sèches, arbres morts, etc.) mais aussi dans les infrastructures humaines (bâtiments, maisons, véhicules, etc.), ce qui explique pourquoi elle est particulièrement présente dans les zones périurbaines.

Parasitoïdes : des introductions dès cette année
Alexandre Bout, chercheur à l’Inrae. ©Inrae
INTERVIEW

Parasitoïdes : des introductions dès cette année

Alexandre Bout est chercheur à l’Inrae, à l’Institut Sophia Agrobiotech, rattaché à une équipe spécialisée en lutte biologique, laquelle travaille notamment sur les parasitoïdes d’halyomorpha halys.

Comment les populations de punaises diaboliques ont-elles évolué en France ?

Alexandre Bout : « Halyomorpha a été officiellement identifiée en 2013, mais son arrivée est estimée en 2012. Elle a commencé à se répartir dans différentes composantes du milieu périurbain et sauvage, mais il lui a fallu un certain temps pour se disperser sur les cultures. Ces dernières années, on observe une augmentation des dégâts, notamment sur la filière noisette, avec qui nous avons beaucoup travaillé, mais aussi sur les filières pomme, poire et kiwi… On m’a également parlé de dégâts sur les cerises ou la vigne. Halyomorpha est extrêmement polyphage. Au cours de la saison, elle va migrer d’une culture à l’autre en fonction des périodes de maturation des fruits et elle va même pondre, en prévision, pour que les larves trouvent des fruits lorsqu’elles vont émerger. »

Où en est-on aujourd’hui en termes de lutte biologique ?

A. B. : « Le candidat identifié est Trissolcus japonicus [NDLR : la guêpe samouraï]. Nous avons obtenu récemment une autorisation d’introduction sur le territoire
national. Toutefois, il s’agit de chantiers assez lourds, il faut connaître les parcelles en amont, effectuer un suivi… Cette année, de premières introductions seront réalisées en région Paca. Pour la suite, il nous faudra trouver des financements pour pouvoir augmenter la densité des lâchers et aller sur davantage de parcelles, partout sur le territoire. Peut-être dès l’année prochaine ou en 2026. Mais je pense que ça ne sera pas suffisant… Il faudra certainement se diriger vers une lutte biologique par augmentation. C’est-à-dire des introductions répétées et plus massives de ces parasitoïdes. On a donc avancé sur la constitution d’un pilote de production qui puisse avoir la capacité de proposer ces auxiliaires aux arboriculteurs. Pour l’instant, c’est la filière noisette, avec laquelle on travaille sur ce sujet, qui a décidé de se structurer pour produire des Trissolcus japonicus à titre commercial. »

Avez-vous identifié d’autres parasitoïdes d’halyomorpha halys ?

A. B. : « Dans le cadre ce projet Ripposte mené avec l’ANPN (association nationale des producteurs de noisettes), nous avons également inventorié la diversité des parasitoïdes présents en France. Lors de ce travail, nous avons trouvé une autre guêpe : Trissolcus mitsukurii. C’est également un parasitoïde exotique venu d’Asie et prédateur d’Halyomorpha, dont l’introduction a été fortuite. On suit cette espèce également pour voir si elle s’acclimate et pour mieux connaître sa biologie, car elle a été moins étudiée que Trissolcus japonicus. À court ou moyen terme, elle pourrait être une arme en plus contre Haliomorpha. »